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A propos de fibres

A propos de fibres

Quel est le sens de la Sourate 111 ? Qui est Abû Lahab qui n’apparait que dans cette Sourate ? Ce serait sans doute le seul nom de personne du Coran qui ne renverrait pas à un personnage biblique vu qu’il serait l’Oncle du Prophète. Pourquoi a-t-il mérité un feu ardent ?

 Pourquoi nous parle-t-on de ses mains, de ses richesses, de sa femme enfin, elle-même affublée de détails curieux et incompréhensibles (elle transporte du bois et porte au cou une corde de fibres)

Périssent les mains d‘Abû Lahab, le Père-la-flamme, et qu‘il périsse:
ses richesses ne lui profiteront pas, ni ce qu‘il a fait.
Il rôtira au Feu, dans les flammes
avec sa femme, la porteuse de fagots.
À son cou, une corde de fibres…
Coran Sourate 111

• La fibre.

Certes, on pourrait de prime abord, balayer ces détails et se dire qu’il s’agit justement de détails sans importance, mais cela n’est pas possible pour une raison très simple: le nom de notre sourate n’est même pas celui d’Abû Lahab, non plus que le nom de sa femme, jamais nommée dans le Coran, pas même de son cou orné d’une corde, mais de la matière de cette corde : al massad. Bien que ce terme soit un hapax, un consensus universel existe pour traduire ce massad par la fibre de palme. Devant tant de mystères, il ne nous reste plus qu’à laisser notre imagination vagabonder.

• Abû Lahab

Le nom lui-même d’Abû Lahab n’est pas un patronyme, mais une kunya, un surnom: Abû Lahab c’est le père-la-flamme. Comprenez : celui qui est promis au feu de la Géhenne. Pour aller droit au but, notre vagabondage nous conduit à l’idée qu’Abû Lahab serait une construction de type midrashique sur Coré. En effet le midrash juif sur Coré introduisait déjà deux éléments importants qui ne figurent pas dans la Bible: la femme de Coré et les mains de cette dame. Ce même Midrash s’appuyant sur des indices ténus du texte massorétique avait on le sait élaboré de manière hyperbolique le thème de la richesse de Coré (le texte biblique indique seulement que Coré et ses hommes étaient des hommes de renom : anshe shem, mais cette expression n’a pas, que l’on sache, le sens de milliardaire). Les deux récits, le récit biblique et son prolongement midrashique d’un coté et le récit Coranique de l’autre, ont donc bien des points communs: la richesse, le feu, la femme, et les mains.

• D’où vient le thème midrashique de la main de Coré ?

Devant l’étrangeté de l’épisode de Coré (on ne sait pas de façon absolument claire la cause de la révolte de Coré, Coré qui devient pourtant le symbole ou le paradigme de la révolte) le midrash en est réduit à guetter les indices même les plus ténus du texte biblique. Par exemple les indices de proximité. Juste avant le début du chapitre 16 des Nombres où il est question de Coré, le texte traite du commandement des franges (tsitsit). Le midrash va donc y voire un indice des causes de la révolte de Coré et va élaborer un récit dans lequel Coré s’oppose à Moïse sur la question des franges.

De même, ce chapitre 16 s’ouvre sur la révolte de Coré en exprimant cette révolte par un terme mystérieux vayiqaH QoraH: Coré prit. Voila peut-être l’origine des fameuses mains de Coré. On prend avec les mains. Voilà qui expliquerait du même coup la richesse de Coré. En Sanhedrin 110a, la Agada applique à la femme de Coré ce verset des Proverbes:

La Sagesse bâtit sa maison, de sa main, la Folie la renverse (Proverbes 14, 1)

Voyons de quelle manière la femme folle de ce verset renverse sa maison: avec ses mains (be-yadeha). A nouveau la stigmatisation des mains. Curieusement, une tradition conservée par l’Islam, fait mourir Abû Lahab sous les décombres de sa maison. Il serait intéressant de connaître l’origine de cette tradition.
Le terme massad pourrait s’expliquer par l’hébreu tardif metsada (piège, filet) (Jastrow 822-823). Le tsadé hébreu צ étant devenu un ṣād ص comme dans : taṣaddaqa (تَصَدَّقَ) faire la charité (hébreu : tsedaqa). En effet dans le midrash, le femme de Coré est liée au (mauvais) conseil: עצה qui est aussi un piège: ‘etsa

• Le Palmier

Le Midrash Nombres Rabba traite de la révolte de Coré. Un passage rapproche curieusement cette révolte d’un passage difficile de Job. L’un des versets sollicité est le suivant: Avant le temps se flétriront ses palmes. Ce rendu est pour le moins acrobatique car le terme temurato est lu tamarato et donc tiré vers le signifiant tamar du palmier. Ce n’est pas le seul exemple du rapport mystérieux entre Coré et le palmier. Le Midrash note que le nom de Coré (QoraH) est l’acronyme par ses lettres finales de l’expression: le juste fleurira comme le palmier (Tsadiq ka-Tamar YiphraH). Notons que ce même passage de Job rend le feu par shalhevet שלהבת qui contient le lettres du mot Lahab להב

• La corde

Le Midrash sur les Proverbes rapproche Coré de Haman sous ce rapport: tous deux furent richissimes, orgueilleux, écoutèrent leur femme et chutèrent. Ce rapprochement pourrait nous fournir le chaînon manquant susceptible de nous expliquer pourquoi le texte coranique parle de corde. En effet la femme de Haman est liée à la corde puisque ce dernier et ses fils sont pendus à une potence.

Voici le passage du midrash mishle:

R. Lévi dit : Il y avait deux hommes extrêmement riches dans le monde, un parmi Israël et un parmi les nations. Celui d’Israël était Coré et celui des nations était Aman le mauvais. Tous deux écoutèrent leur femme et chutèrent. Comment est-il arrivé que Coré chuta [après] avoir écouté sa femme ? Quand il revint [chez lui] de la maison d’étude, elle lui demanda : « Quelle règle Moïse vous a-t-il expliquée à l’académie ? » Il répondit : « Il a expliqué la loi des franges bleues. » Elle lui demanda : « Que sont ces [franges] bleues ? » Il lui dit : « Voici comment Moïse l’a expliqué : ‘La bouche du Tout-puissant m’a dit de venir et de vous dire de faire quatre franges sur les quatre coins de vos vêtements et cela sera suffisant si elles sont de fil bleu comme il est dit : ‘Laisse les attacher un fil de bleu à la frange à chaque coin’ (Nb 15,38).» Sur quoi, elle éclata de rire et lui dit : « Vois comment il est assis et vous raille ! Tu sais quoi ? Il vous dit : ‘Sur les coins de vos vêtements’. [Moi,] je te ferai un manteau qui est tout bleu. » Elle demeura là et lui fit un manteau tout bleu.
Quand Moïse le vit, il dit : « Coré, qu’est-ce que tu as fait là ? » Coré répondit : « Tu m’avais dit un peu [de bleu] et je l’ai fait tout [bleu]. »Moïse lui répondit en disant : « Il est écrit : ‘Tu les écriras sur les poteaux [de ta maison]’ (Dt 6,9). » Il ajouta : « Est-ce qu’une maison qui est pleine des rouleaux de la Torah nécessite une mezuzah ? » Coré dit : « Bien sûr ! » Moïse continua : « Que tes oreilles entendent ce que dit ta bouche ! » [Puis,] Moïse dit : « Coré, tu as transgressé les commandements de Dieu parce que tu es devenu hautain dans ta richesse. » Alors, Moïse se tint en colère devant Dieu et parla devant Lui : « Maître de l’univers, si mes mots doivent compter, promulgue un décret contre eux » comme il est dit : « Mais si YHWH fait quelque chose d’inouï » (Nb 16,30). Moïse dit devant Dieu : « Maître de l’univers, si elle n’a pas encore été créée, qu’elle soit créée ! » Qu’était-ce ? C’était l’entrée de la Géhenne. R. Lévi dit : « Coré (qorah) » (Nb 16,1) parce qu’il fit un trou dans [la population d’] Israël. « Fils de Yiçhar (yitshar) » (Nb 16,1) parce qu’il fit en sorte [que l’humeur du] monde entier boue [jusqu’à ce qu’elle soit aussi chaude] que le midi (tsohorayim). « Fils de Qehat (qehat) » (Nb 16,1) parce qu’il provoqua le grincement (qihah) des dents de celui qui l’engendra. « Fils de Lévi (lewi) » (Nb 16,1) : un fils qui mena une procession (lewayah) à la Géhenne. Qu’est qui lui causa [tant d’ennuis] ? La confiance en sa richesse. C’est pourquoi il est dit : « Qui se fie en la richesse chutera » (Pr 11,28). Où [apprend-on] qu’Aman le mauvais écouta sa femme et chuta ? Dans le verset : « Lui répondirent sa femme, Zéresh, et tous ses amis » (Est 5,14). Que lui dirent-ils ? « Fais seulement dresser une potence de 50 coudées » (Est 5,14). Il n’est pas écrit : « Ils firent une potence » mais : « Fais seulement dresser une potence de 50 coudées ». R. Lévi dit : Cela montre que tous [lui] donnèrent ce conseil. De quelle manière Aman chuta-t-il ? Il se leva le matin et dit du mal de Mardochée devant Assuérus. Après qu’il eut parlé devant Assuérus, le roi lui dit : « Viens et dîne avec moi. » Aman le mauvais se dit : « Une fois que je serai assis avec le roi au banquet, je lui conseillerai de faire pendre Mardochée sur la potence. » L’Esprit saint répondit : « Mauvais ! Tes pensées se tourneront contre toi ! » Et c’est cela qui lui arriva comme il est dit : « Aman fut donc pendu » (Est 7,10). C’est également ce qui est signifié par le dicton : Malheur à celui qui, lors de la destruction, est suspendu à une corde. Qu’est-ce qui fit que tout cela lui arriva ? La confiance en sa richesse. C’est pourquoi il est dit : « Qui se fie en la richesse chutera » (Pr 11,28). À tout son complot, l’Esprit saint continua à répondre : « Pas selon vos plans mais selon Mes plans » comme il est dit : « Car vos plans ne sont pas Mes plans, et Mes voies ne sont pas vos voies, oracle de YHWH » (Is 55,8).