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Encore l’adultère

Encore l’adultère

Contrairement à Jésus qui, selon Jean, refuse de lapider la femme adultère, le prophète de l’Islam ne craint pas la lapidation (ce qui pose un problème actuellement à l’Islam, mais ce n’est pas le sujet de cet article.) 

En dehors des spécialistes, peu de gens savent qu’il existe dans la tradition musulmane un épisode qui ressemble de très près à l’épisode johannique de la femme adultère. Il est rapporté dans de nombreuses versions différentes.Globalement, la narration se présente ainsi :

Des juifs vinrent demander le jugement du Prophète sur un homme et une femme juifs qui avaient commis l’adultère. Le Messager d’Allah leur dit : « Que trouvez-vous dans la Tora au sujet de l’adultère? » Ils répondirent : « Nous les dénonçons et nous les fouettons. » Mais Abd’Allah Ben Salam dit : « Vous mentez, c’est plutôt la lapidation » Ils apportèrent alors la Thora et l’exposèrent puis l’un d’entre eux montra du doigt le verset sur la lapidation. Ils dirent ensuite : « Il dit la vérité, ô Muhammad ! C’est la lapidation ». Le Messager d’Allah ordonna alors de lapider l’homme et la femme. Abd’Allah a dit : « J’ai vu l’homme se rapprocher de la femme voulant la protéger contre les pierres. »

Pour mémoire rappelons l’épisode johannique:

Jn 8. 3 – Or les scribes et les Pharisiens amènent une femme surprise en adultère et, la plaçant au milieu, 8.4 ils disent à Jésus: Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. 8.5 – Or, dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu? 8.6 – Ils disaient cela pour le mettre à l’épreuve, afin d’avoir matière à l’accuser. Mais Jésus…etc.

Plusieurs textes (dont la Sira) nous rapportent le même épisode à quelques variantes près. Parfois la mention est lapidaire: Abû-Hurayra a dit :«Le prophète a lapidé un juif et une juive»

Dans pratiquement tous les ouvrages de Hadith des 8e et 9e siècles (de Mâlik à la Sira, des Musnad aux SaHiH, des Sunan à Tirmidi) on retrouve ce type d’épisode qui peut être résumé par cette formule: Le Messager d’Allah a lapidé et nous avons lapidé après lui.

Comment analyser l’épisode relatif à la lapidation du couple de juifs adultères ?

Nous aurions ici trois niveaux de sens.

Au niveau manifeste la chose paraît claire, il s’agit d’un simple problème juridique: quelle est la peine pour l’Adultère chez les Juifs? Le problème c’est qu’on ne voit pas bien en quoi tout cela concerne l’Islam. Ce sont des juifs qui viennent demander un avis et on les renvoie à la Tora. Il est même assez gênant que le texte islamique doive sans cesse se définir par rapport à la Tora.
On aurait également ici un second niveau qui serait le niveau polémique. C’est le refrain qu’on retrouve un peu partout dans le corpus des textes musulmans: les-juifs-ont-modifié-la-Tora. En effet, la pénalité ordonnée par la Bible pour l’adultère est la lapidation (Dt 22,20-22), mais le Talmud considère que la mort par strangulation est un châtiment plus humain. Les Juifs appliquent donc le Talmud, la loi orale, et non la Tora sur laquelle ils ont littéralement « mis la main ». Dans la loi juive, néanmoins, la peine capitale pour ce crime ne peut être décrétée que si les parties fautives ont été dûment averties et si deux témoins ont aussi donné la preuve de leur inconduite.

Notre texte aurait peut-être une troisième dimension qui serait la dimension midrashique. Et celle-ci nous réserverait comme d’habitude quelques surprises. Dans cette optique nous savons que l’adultère signifie l’idolâtrie.
Notre hypothèse est que notre Hadith sur la lapidation est une reprise pure et simple de l’épisode johannique. Cela n’a rien d’étonnant puisque le Coran reprend de nombreuses narrations issues des Evangiles (injil). Or le passage johannique serait lui-même une reprise du midrash sur Suzanne et les vieillards. Mais le message de Suzanne, texte apocryphe relié au livre de Daniel, est le suivant: Israël n’est pas coupable d’adultère (lire: idolâtrie) et il est victime de ses guides. C’est la raison pour laquelle Jésus ne condamne pas la « femme adultère ». L’alliance entre Dieu et son peuple est indestructible. C’est pourquoi d’ailleurs Jésus n’accepte pas le divorce (cet effet de double entente pose autant de problèmes à l’Eglise que la lapidation à l’Islam, mais encore une fois ce n’est pas le sujet de cet article)
Quel serait alors le sens de notre Hadith ? Il serait précisément de prendre le contrepied de ce midrash. Si nous sommes bien dans la double entente et si adultère signifie idolâtrie, alors le sens du notre Hadith serait le suivant: il faut éradiquer l’idolâtrie et c’est Muhammad, le Moïse de la fin des temps qui doit le faire, puisque d’autres (Jèsus ?) ont échoué. D’autant qu’à la fin des temps les juifs sont censés tous être devenus idolâtres. Autrement dit le sens ultime de ce Hadith est le même que celui du livre de Josué: Josué est celui qui vient après Moïse pour éliminer définitivement le mal sur la terre, d’où les guerres eschatologiques d’extermination qui scandent le livre de Josué. Muhammad a pour kunia Abu l’Qasim celui qui partage (le butin, la terre).
Un détail final de ce hadith semble inutile: l’homme cherche à protéger la femme des pierres qui s’abattent sur elle en la couvrant de son corps. Ce détail aurait deux sens: Le juif cherche d’abord à protéger son peuple. On sait en effet que dans le midrash femme signifie souvent peuple. Cela est plus visible dans le livre d’Esdras dans lequel femmes étrangères est toujours mis en parallèle avec peuples étrangers:

accomplissez sa volonté en vous séparant des peuples du pays et des femmes étrangères. (Esd 10, 11)

Ce détail signifierait enfin l’entêtement du judaïsme: l’homme prolonge et aggrave l’adultère (il se couche de tout son long contre la femme) au lieu d’admettre que Dieu a abandonné définitivement son peuple et de se tourner vers une autre alliance. En effet de nombreuses versions de ce Hadith font intervenir des juifs convertis à l’Islam. Ibn Salam par exemple se convertit à l’Islam, or il est le plus savant des juifs. C’est un juif qui a compris le message du midrash islamique et qui abandonne lui, son peuple. De même Salman le persan est le prototype du zoroastrien converti.

* Pour le lecteur qui aurait du mal à admettre l’idée que la tradition islamique ne fait que prolonger la raison midrashique ou le raisonnement midrashique à l’œuvre dans les Evangiles voici deux passages à méditer:

D’après Abou Moussa, le Prophète a dit : « La situation des Musulmans, des Juifs et des Chrétiens est semblable à celle d’un homme qui engagea des ouvriers pour accomplir une tâche qui devait se poursuivre jusqu’à la tombée de la nuit. Après avoir travaillé, ces ouvriers se sont arrêtés au milieu du jour : – Nous n’avons que faire de ton salaire, dirent-ils. L’homme engagea alors d’autres ouvriers et leur dit : – Terminez la journée et vous percevrez le salaire promis. Au milieu de l’après-midi, ces ouvriers arrêtèrent à leur tour leur besogne. – Nous te cédons notre travail, dirent-ils. L’homme prit de nouveaux ouvriers lesquels ont travaillé jusqu’au coucher du soleil et ceuxci ont reçu la rémunération des deux autres groupes. »

D’après Abou Horaïra, le Prophète a dit : Nous les derniers venus, serons les premiers le Jour de la Résurrection.