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Un peu de Jim

Un peu de Jim

L’ange qui apparaît dans le Coran, Jibril, est semble-t-il, l’ange Gabriel et Hagar est en arabe hajar. Goliat aurait donné Jallut. Gog et Magog seraient devenus Juj wa Majuj, etc. Il n’y a rien d’étonnant à ce jeu de correspondances puisque le gimel hébraïque (la lettre G) est, malgré les apparences, la même lettre que le Jim arabe (la lettre J).

De fait, le Jim était à l’origine un Gimel et se prononce même encore comme un G dans certaines régions. L’alphabet arabe est un abjad ou plutôt un abgad.

Tant qu’il s’agit de noms propres d’origine biblique, ce petit jeu des correspondances entre Gimel et Jim n’a pas beaucoup d’intérêt. En revanche, si ces correspondances se retrouvent en nombre dans le domaine des termes essentiels de l’eschatologie, du rituel, de la morale, etc… alors les choses changent. En effet si le volume de ces correspondances s’avère très important, c’est tout le statut de la langue arabe comme langue autonome et originelle qui est remis en question. Pourtant notre système de correspondances semble fonctionner même pour des termes « sensibles » : l’hébreu gan (jardin, paradis) donne tout naturellement janna en arabe.  gehinam (la Géhenne) donne jahannam. Le Hajj (le pèlerinage) viendrait tout naturellement de l’hébreu Hag (Hagiga : les fêtes de pèlerinage). Tout comme l’arabe minhaj (sentier) viendrait de l’hébreu minhag (coutume, habitude, voie). Janaza (enterrement) viendrait de geniza (enfouissement). Nous commençons à sortir des habituels termes d’emprunts, en général limités aux termes techniques. Si par exemple l’hébreu n’a pas de termes propres pour la technique militaire, il utilisera des termes empruntés au latin. Le Dictionnaire Jastrow est rempli de termes d’emprunts comme אומולוגייא (grec: omologia). Mais on ne comprendrait pas que le noyau dur, les rituels, la liturgie ou l’eschatologie juive aient un vocabulaire largement emprunté au grec ou au latin. Voyons donc ce qu’il en est du noyau dur coranique:

Le mot Dajjal est traduit par Antéchrist, or nous savons que l’Antéchrist est la tromperie. Il se trouve que dagala est en hébreu tardif la tromperie, la ruse (Jastrow 280). De même le CAL nous donne: dgl : to lie

Masjid (lieu de culte) semble être un terme purement arabe. Il est un terme central du vocabulaire de l’Islam puisque il a été rendu par mosquée. Masjid el Haram c’est la mosquée sacrée. Mais le CAL nous apprend que la racine sgd est celle de la prosternation: sgd : to bow down. Et l’on pourrait ainsi continuer pour les termes centraux de la théologie et de l’eschatologie

Voyons ce qu’il en est d’autres domaines de la langue. La plupart du temps, il suffit d’interroger le CAL ou le dictionnaire Jastrow pour trouver une origine plausible à une racine nominale ou verbale de l’arabe.

• La lapidation (arabe: rajm) viendrait de l’hébreu biblique rgm (Dt 21, 21) et de l’araméen rgm (to stone)

• L’armée (arabe: jaysh ) le CAL donne: gys, gysˀ (gēs, gaysā) : army, troop
• Une île (arabe : Jazira) le CAL donne: gzrh, gzrtʾ (gāzrā, gāzartā) : island
• L’épée (arabe: sayif) le CAL donne: syp, sypʾ (sēp/sayp, saypā) : sword
• Le tribut (arabe: Jizya) le CAL donne: gzy, gzytʾ (gzī, gzīṯā) : tax, tribute
• Le martyre (arabe: shahada) le CAL donne: shd, shdʾ (sāhed̠, sāhd̠ā) witness
• La colère (arabe: rujz) -> hébreu: rogez: colère
• marier (arabe: zawj ) -> zug
• perles (arabe: marjan) -> margalit
• marchandise: (ar. tijara) -> araméen : tigara
• étoile: (ar. najm) -> araméen : ngmʾ (nagmā) n.m. star

• Hadith existe dans le Cal mais signifie nouveau et non récit.

On pourrait continuer ainsi sur des centaines de termes.

• Termes arabes dont le champ sémantique est disparate.

Nous étudions ici quelques exemples de termes arabes du Coran qui possèdent des sens très éloignés les uns des autres. La question est de savoir si ce disparate peut être expliqué par une commune origine hébraïco-araméenne.

1) La racine ghayn rā bā (غ ر ب) est celle du mot arabe maghreb (occident). Cette racine intervient 19 fois dans le Coran où elle est la plupart du temps traduite par occident, ouest. L’hébreu ma’arav qui a le même sens explique parfaitement maghreb. L’hébreu ma’arav est proche d’un autre terme de l’hébreu tardif ma’ariv (la prière du soir), or l’arabe maghrib est justement la prière du soir. Jusque là nous avons deux sens proches. Mais en 5, 31 nous trouvons une forme nominale ghurāban qui est rendue par corbeau. Il se trouve que corbeau en hébreu est ‘oreb. L’hébreu explique donc ici nettement la disparité des sens. Comme pour le passage du gimel au Jim, on remarque ici un autre glissement fréquent: celui du ‘ayin hébreu au ghayn arabe. Ce ghayn غ reste graphiquement proche du ‘ayn arabe ع
Exemple: ghurla (prépuce) viendrait de l’hébreu ‘orla.

2) la racine ghayn bā rā (غ ب ر) a dans le Coran deux sens très éloignés l’un de l’autre: celui de rester en arrière, et celui de poussière (80,40). Si nous replaçons le ghayn par le ‘ayn hébreu ע on arrive à la racine hébraïque ‘abar עבר du passé qui peut expliquer le sens de rester en arrière. Une recherche sur le CAL donne ʿbr : to be neglected
Mais si l’hébreu ‘abar (passé) explique ce sens, il n’explique pas le sens de poussière. Il se trouve pourtant qu’un autre terme hébraïque ‘afar (la poussière) explique ce premier sens. Certes les deux termes sont distincts mais ils ne se distinguent que d’une lettre (b et p). ‘afar עפר aurait été lu ‘abar עבר. Cela nous conduit directement à la période de l’alphabet arabe, antérieure aux signes diacritiques : la lettre b ب et la lettre P ف fa sont proches et ne diffèrent que d’un point qui n’existait pas encore.

3) la racine ghayn fā rā (غ ف ر) apparait 234 fois dans le Coran avec le sens de pardonner. Une racine hébraïque pourrait expliquer ce sens: c’est celle de kapar כפר. Mais il faudrait alors supposer que le kaf hébraïque se soit transformé dans le son proche de ghayn. Cependant un élément peut expliquer ce glissement phonétique. C’est l’ambivalence de la racine hébraique kapar qui signifie à la fois pardonner et apostasier, renier. Comme l’arabe a gardé le sens d’apostasier dans kfr ك ف ر, il lui fallait différencier avec pardonner et donc opter pour le passage du kaf au ghayn.

4) la racine hamza jīm rā (أ ج ر) apparaît 108 fois dans le Coran avec le sens de récompense. L’araméen ‘agar explique parfaitement ce sens: ʾgr, ʾgrʾ (ˀăḡar, ˀaḡrā) n.m. hire, reward. Notons au passage qu’aussi bien le midrash juif qu’un Hadith musulman rapprochent ce sens (récompense) du nom de Agar, la mère d’Ismaël. (hebreu: Ma fille sera en quelque sorte un dédommagement (agrikh) Arabe: Son nom en arabe viendrait de la contraction de ha ajruka qui signifierait : Voici ta récompense). Mais cette racine a aussi un autre sens plus rare, celui de « toit »
Va-t-on trouver un terme araméen de la même racine ‘gr et qui signifie « toit » ? Oui: Le CAL nous donne: ʾgr, ʾgrʾ (ˀeggār, ˀeggārā) : wall; roof.
Notons que dans l’araméen de la peshitta on retrouve en Marc 2,4 ce terme de toit (précisément dans le passage du grabataire qui passe par le toit) On aurait donc là peut-être un jeu de sens entre le toit et la récompense. Notons aussi au passage qu’une autre racine coranique est rendue par toit: sīn qāf fā (س ق ف) elle s’explique par l’hébreu tardif shaqif (Jastrow 1623).

5) la racine dhāl kāf rā (ذ ك ر) apparait 292 fois dans le Coran. La plupart du temps cette racine a une forme verbale dont le sens est: se souvenir, se rappeler. Mais il existe une forme nominale de cette racine qui lui fait prendre le sens de mâle. Rien à voir avec se souvenir. Or il n’y a qu’en hébreu que זכר zekher (se souvenir) est la même racine et la même graphie que זכר zakhar (mâle). Non seulement les lettres dhal et zay sont phonétiquement proches en arabe, mais de plus, leur graphie est elle-même très proche: ذ et ز

6) la racine sīn wāw rā (س و ر) apparaît 17 fois dans le Coran. C’est la racine d’un terme qui n’est pas anodin puisque c’est celui du terme surate. A cinq reprises cette racine a le sens de bracelets. Et même une fois le sens de mur (en 57, 13). Une fois de plus le CAL explique intégralement cette distribution du sens:
syrʾ : thread, chain, chapter
šʾr, šʾrʾ (šēr, šērā) : bracelet (voir aussi sherot en Isaïe 3, 18 ) שֵּׁירוֹת
šwr, šwrʾ (šūr, šūrā) : wall

7) La racine bā shīn rā (ب ش ر) apparaît 123 fois dans le Coran: cette racine possède essentiellement deux sens, mais très éloignés l’un de l’autre, celle de l’annonce des bonnes nouvelles (y compris le sens dérivé de : se réjouir de ces bonnes nouvelles) et celle d’être humain qui n’a aucun rapport de sens avec celui d’annoncer. Or cette distribution s’explique très clairement par l’hébreu: le-basser (annoncer la bonne nouvelle) et bassar va-dam (être humain, homme, mortel) ainsi que par l’Araméen:
bsr, bśr : to announce, to proclaim, to preach the Gospel , to receive news .
bsr, bsrʾ (bsar, besrā) : flesh (kl bśr, kl bsr, klbsr : all flesh, everyone) human being