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Critique en pleine forme

Critique en pleine forme

La critique biblique sérieuse se partage entre approche historique et critique formelle. Ou si vous préférez entre approche diachronique et approche synchronique. La critique formelle étudie les textes bibliques sans tenir compte de l’histoire du texte (l’histoire de sa rédaction, de sa transmission, de sa réception). 

Nous nous proposons d’exposer ici les méthodes et le vocabulaire de la critique formelle et d’aborder le problème de l’évaluation des résultats qu’on peut en attendre.

Si vous voulez devenir « critique formel » vous devez donc apprendre à décrire le texte que vous étudiez sous le rapport de la rhétorique, de la narrativité, etc. En épuisant toutes les ressources de cette approche, vous parviendrez peut-être un jour à expliquer le texte biblique. Mais n’y a t-il pas une arrogance presque prométhéenne à prétendre comprendre un texte comme la Bible qui a traversé les siècles ? Restons modestes. On ne peut sans doute pas aller plus loin que décrire le texte, pour le reste…

Encore faut-il se faire comprendre de la communauté scientifique. Il a fallu de nombreuses années pour mettre au point un vocabulaire universel et adapté aux traditions de chaque pays. En effet, si la France est la fille aînée de l’Eglise, l’Allemagne et l’Angleterre sont les filles aînées de l’exégèse. Accessoirement, si vous voulez trouver un éditeur mieux vaut connaître les usages.

Quelques conseils : Ne dites pas « l’histoire de Joseph » mais l’intrigue de Joseph, ou mieux dites le plot terme anglais donc plus technique, donc plus professionnel. Attention, dans les événements de l’histoire racontée, il faut bien distinguer la story telle qu’elle s’est déroulée en vrai, le what du how, la manière dont elle est narrée. De manière générale, évitez de faire plouc, dites: mise en récit au lieu d’histoire. Abandonnez d’ailleurs définitivement le terme « récit  » préferez le terme diégèse (à la rigueur: narratio). Au mot « personnage  » préférez le terme acteur ou mieux, le terme actant. Evitez le mot « répétition  » préferez le terme deutérose. Dites paradosis et non pas tradition. La tension narrative se dit maintenant climax. Utilisez les termes dans leur langue d’origine: ainsi ne dites pas contexte mais sitz im leben sinon on ne comprend rien à ce que vous dites. Ne dites pas « genre littéraire » mais Gattung. Modèle se dit pattern. Par exemple la phrase: Le « strand » de notre « story » est parsemé de « stich »…est bien formée si vous mettez des guillemets. Si vous parlez en public, vous devrez indiquer ces guillemets en agitant les deux premiers doigts des deux mains, comme si vous bénissiez la foule (ou comme si vous alliez soudain vous mettre à jouer des castagnettes).

L’analyse narrative commence donc par décrire le récit (enfin, l’intrigue, le plot, quoi): ce plot consite en un commencement (il faut un commencement à tout, d’ailleurs la bible commence par un commencement, non ?) puis on rencontre ce qu’on appelle des complications (vous avez remarqué que dans la bible, très vite, cela se complique), puis on observe généralement un tournant (en général, ça tourne mal) puis on trouve le fameux climax, moment de tension maximale (inciting moment) et enfin on a un dénouement. Si finalement vous renoncez à devenir critique formel, vous pourrez toujours finir scénariste à Holywood, sauf si la grève de cette profession s’installe définitivement. Cette phrase que nous venons d’écrire n’a rien à voir avec notre sujet: c’est ce qu’on appelle une digression (utilisez le latin digressio, c’est moins connoté). C’était un exercice, à notre avis judicieux, pour voir si vous suiviez et un prétexte pour apprendre un nouveau terme de CF.

Où en étions-nous ? (Notez comment la digressio fait perdre le fil du récit). Ah oui, nous tentions toujours d’expliquer notre passage biblique. Ou plutôt, humblement, de le décrire. Après avoir décrit la mise en récit de votre texte, vous pouvez aussi recenser les figures du discours. On ne va pas pas les rappeler ici car ce serait vous faire injure. Nous voulons parler des métaphores, métonymies et autres synecdoques sans lesquelles une critique formelle n’irait pas au fond des choses (elle en resterait à la forme, si l’on peut dire). Mais nous voudrions plaider pour certaines figures trop oubliées. L’hyperbole, par exemple. Quand le texte des Actes nous dit que Paul est un avorton, il ne fait pas un jeu de mots sur le verbe nafal, tomber, mais il nous fait une hyperbole, il exagère tout simplement (Mais attention, l’hyperbole n’est pas une simple exagération, c’est une exagération accentuée, ici Paul exagère trop).

La critique de la forme est on le voit un exercice jubilatoire. Quand elle est bien menée, elle parvient à projeter sur le texte une lumière si aveuglante que cela en devient une expérience quasi-mystique. Nous avons déjà cité l’exemple de la mort de Jean Baptiste tel que l’explique l’analyse narratologique. Nous vous en rappellons ici un extrait car c’est un sommet de l’analyse formelle:

Un nouvel actant (S4, la fille d’Hérodiade) amène l’établissement d’un contrat. S1 (Hérode) en se liant par contrat au vouloir de S4 perd son pouvoir. C’est au cours d’un banquet et d’une danse dans le cercle des grands (cercle du désir et du corps) que le renversement se prépare. Le lecteur comprend que si S4 a obtenu un certain pouvoir, celui-ci n’est associé à aucun vouloir. S3 (Hérodiade) en revanche associe son savoir et son vouloir au pouvoir de sa fille pour que s’accomplisse son programme narratif de mort.

Autre moment privilégié qui confine au pneumatique, celui où l’on a le bonheur de découvrir dans un texte qu’on croyait banal, la fameuse structure en chiasme. En voici la formule canonique A B C D C’ B’ A’. Ceux qui ont soudain vu se dégager cette structure ont un peu découvert la tombe d’un Pharaon, ou vu une apparition. N’oublions pas que chiasme signifie croix. Alors forcément. Voici un chiasme révélateur:

A1 Gédéon: 70 fils
B1 Tola : aucune précision
C1 Yaïr: 30 fils
D Jephthé : privé de descendance
C2 Ibtsân : 30 fils
B2 Elôn : aucune précision
A2 Abdôn : 70 fils (40 fils et 30 petits-fils)
Aux dernières nouvelles, il semble que ce dispositif se nomme de plus en plus « structure en chandelier » (menora) ce qui fait encore plus exotique.

Avant de nous quitter, un exercice: tentez de retrouver dans la bible la péricope dont traite le commentaire suivant:

Cette péricope est un récit singulatif dont l’Erzählzeit est troublant. En effet le narrateur nous présente un telling dont le temps interne est plus rapide que son showing. Le macro-récit présente une mise en abyme destinée à troubler le narrataire dans sa Weltanschauung.

Dans un prochain article, nous aborderons la critique historique.

La Rédaction.