Cuisine italienne
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Roland Barthes, on le sait, a écrit sur Racine (Sur Racine, 1963). Mais il a aussi, on le sait moins, écrit sur Corneille. Je veux parler, bien entendu, du Corneille des Actes (Ac 10,1). Roland Barthes analyse ce texte avec sa virtuosité habituelle, nous donnant au passage une superbe leçon de sémiotique structurale.
Son article (Analyse structurale d’Actes 10-11, in: l’Aventure Sémiologique) s’ouvre sur le rappel du principe de pluralité : l’analyse structurale ne vise pas à établir le sens, ou même un sens du texte, mais le lieu géométrique de ses sens possibles. Elle ne cherche donc pas à interpréter le texte. Et il faut reconnaître que, sous ce rapport, l’analyse de Barthes atteint entièrement ses objectifs.
L’analyse structurale ne dispose pas de méthode, mais de disposition opératoire. R. Barthes commence donc par repérer les divers codes présents dans notre texte. Nous apprenons ainsi avec intérêt que centurion est un élément du code historique, tandis que Césarée est un élément du code topographique. Le seul code dont Barthes ne parle pas ici est, curieusement, le code midrashique. Les répétitions d’Ac 10 n’ont pas échappé, vous l’imaginez aisément, à la sagacité de Barthes. Répétition des appels (l’ange appelle Corneille, Corneille appelle Pierre…). Répétition des résumés (les messagers résument à Pierre la vision de Corneille, celui-ci résume sa vision à Pierre, Pierre résume l’histoire du messie à Corneille…)
Mais à défaut de sens, ce texte a-t-il au moins un contenu ? C’est là où intervient le génie de Barthes : Il montre que ce texte n’a aucun contenu, si ce n’est l’idée même de message :
le sujet (du texte) est la communication et la diffusion des messages….Le fait qu’en si peu d’espaces, il y ait quatre résumés du même épisode, constitue une image diagrammatique du caractère illimité de la grâce.
Malgré le caractère lumineux de la démonstration de Barthes, on nous permettra de la compléter quelque peu: Le texte des Actes établit un parallélisme étroit entre deux catégories d’actants (les Juifs et les païens). Chaque actant a son représentant principal (Pierre pour les Juifs, Corneille pour les païens), sa ville (yafo, qissaria), sa vision. Les païens reçoivent donc maintenant eux aussi la parole de Dieu. Corneille craint Dieu et prie sans cesse, ce qui le distingue peu des pauvres (les Juifs) à qui il fait de généreuses aumônes (tsedaqa). L’ange demande à Corneille de faire venir Pierre chez lui. Au moment où Corneille l’envoie chercher, Pierre justement a une vision. Il voit un objet à quatre coins. Cet objet (grec skeuos, que la peshitta rend par qeren, corne) est rendu par les traducteurs par une nappe, car Pierre doit ensuite manger les animaux que l’objet contient.
Comme les visions bibliques ne visent pas à l’originalité, on peut tenter de les rapprocher d’autres visions similaires. En Ez 43,15 Ezéchiel voit lui aussi un objet nommé hariel, qui a quatre coudées (amot) : et au-dessus du foyer, il y avait quatre cornes. En Ex 27, 2 c’est l’autel (mizbeaH) qui a quatre cornes. Enfin en Za 2, 1 le Prophète a une vision : Voici : il y avait quatre cornes. Cela fait maintenant beaucoup de cornes. Et je ne vous compte même pas celle qui figure dans le nom de Corneille. En Zacharie, ces cornes n’ont rien de mystérieux, il s’agit des quatre Empires qui oppriment Israël. En hébreu, la corne, c’est la force.
La vision de Pierre ne serait donc pas centrée sur l’abolition des règles juives de pureté alimentaire. Les animaux de la vision de Pierre sont d’abord les païens. À la fin des Temps, il est vrai, le Léviathan, qui représente les païens, devait être donné en pâture aux Justes. D’où l’ordre donné à Pierre de les sacrifier (c’est-à-dire aussi de les rapprocher autrement dit, de les convertir, le-qarev). Pierre semble d’ailleurs avoir bien compris le sens de sa vision : Mais Dieu vient de me montrer, à moi, qu’il ne faut appeler aucun homme souillé ou impur.
Il est évidemment impossible dans le cadre restreint de cet article de développer tout l’apport des concepts de R. Barthes à la science des textes. Regrettons simplement qu’ils n’aient pas été suffisamment appliqués à l’exégèse néo-testamentaire. On peut, tout au plus, faire entrevoir au lecteur leur fécondité, par cet exemple, devenu célèbre, des pâtes Panzani. C’est le concept de connotation qui permit à Barthes de découvrir le discours de cette affiche. Un système connoté, nous dit Barthes, est un système dont le plan d’expression est constitué lui-même par un système de signification (présentant par conséquent la dichotomie plan de l’expression/plan du contenu). Dans la connotation, le couple signifiant-signifié devient donc le signifiant d’un nouveau signifié général, global et diffus. En l’occurrence, dans la réclame pour les pâtes Panzani, le signifiant Panzani (qui signifie « Panzani »), le signifiant couleurs dominantes vert, blanc, rouge (qui signifie « couleurs dominantes vert, blanc, rouge ») et le signifiant ingrédients (qui signifie « ingrédients ») signifient en plus, à eux tous, et globalement, l’italianité des pâtes Panzani (signifié de connotation), et deviennent dès lors des connotateurs, signifiant respectivement « nom à consonance italienne », « couleurs du drapeau italien » et « aliments typiques d’une cuisine du sud ».
Je vous laisse imaginer ce qu’une telle méthode apporterait à la compréhension d’autres textes italiens difficiles, comme l’Épître aux Romains, par exemple.