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Les Aventures de Joseph et Asenet

Les Aventures de Joseph et Asenet

Connaissiez-vous le roman grec ? Ce genre littéraire gagne pourtant à être connu. Il présente en effet des caractéristiques spectaculaires. Plutôt que de décrire les particularités étonnantes de cette variété littéraire, je vous propose de les découvrir en étudiant un texte peu connu qui relève de ce genre: Joseph et Asenet.

 
Grâce à la Bibliothèque de la Pléiade (Ecrits Intertestamentaires) qui a publié une édition critique de ce texte, le roman hellénistique n’aura plus de secret pour vous.
Chose étonnante, l’intrigue de ce roman est très, comment dire ?…ramassée. Joseph se présente un beau jour dans la demeure de Pentéphrés, haut fonctionnaire de Pharaon. Ce Pentéphrès convoque aussitôt sa fille, Asenet, et lui indique qu’elle devra épouser Joseph. Asenet s’insurge contre cette idée, mais en voyant Joseph elle tombe amoureuse de lui. On remarque immédiatement que le roman hellénistique ne disposait pas des ressources narratives du roman moderne. Les lecteurs de l’époque aimaient sans doute les scénarios simples. De même, ils étaient peu sensibles à la construction d’ensemble. C’est ainsi que notre texte se poursuit de manière un peu décousue par une seconde partie: le fils de Pharaon entreprend de tuer Joseph avec l’aide de deux de ses frères Simon et Lévi. Mais l’entreprise échoue et Asenet pardonne à ces derniers. Fin de l’histoire.
Tout au long de notre lecture, l’appareil critique de la Pléiade nous sera d’un grand secours pour la compréhension de notre roman. Pourtant, l’éditeur du texte est lui-même parfois surpris par certaines curiosités : le texte nous parle par exemple des “satrapes” de Pharaon et nous présente donc l’histoire de Joseph dans un cadre perse.
Revenons à notre roman qui nous est parvenu en grec (d’où sa caractérisation de roman grec). Il commence ainsi:

la première année…le deuxième mois, le cinquième jour du mois, Pharaon…

On voit immédiatement que l’auteur maîtrise admirablement tous les clichés du roman grec, comme nous l’indique avec raison la préface. En effet, ce genre se caractérise par quelques éléments bien précis : la beauté des héros, le coup de foudre, le mal d’amour, le baiser, la séparation, le rival sans scrupule, la virginité des héros. L’auteur a donc voulu, selon l’éditeur du texte, plaire au public (païen s’entend). Pourtant, il n’a pas poussé ce souci légitime jusqu’à écrire un roman érotique. Curieux auteur, décidément, qui a même poussé le paradoxe jusqu’à rester anonyme. Résumons-nous: Joseph et Asenet est bien un roman grec mais il est tout-à-fait atypique. L’auteur est certainement un juif Egyptien qui écrit, pour un public païen, un roman sur Joseph et Asenet. C’est ce qui explique quelques tournures bibliques comme ce portrait d’Asenet:
elle n’avait rien de semblable aux filles des Egyptiens, mais elle était en tout point semblable aux filles des hébreux. Elle était grande comme Sara, gracieuse comme Rébecca et belle comme Rachel.
Tournures qui devaient certainement plaire au public païen qui, on s’en doute, connaissait bien Sara, Rébécca et Rachel, ainsi que leurs charmes respectifs. Les notes de la Pléiade nous expliquent aussi que l’auteur a voulu rendre l’ambiance des cultes à mystères. Ainsi le nom Asenet assonerait avec le nom de la déesse Neith.
Poursuivons notre découverte des particularités surprenantes du roman grec en général et de celles, encore plus surprenantes, de Joseph et Asenet.

Asenet méprisait et dédaignait tout homme…car Pentéphrès possédait une tour…

Une note bien venue nous indique qu’il s’agit là “du thème folklorique de la jeune fille à la tour” mais ne nous indique malheureusement pas la raison du mot “car”.
Résumons: Notre auteur entend plaire à un public hellénisé friand d’érotisme, il choisit donc une héroïne farouchement puritaine. L’ouvrage connaît pourtant un immense succès puisque de nombreux manuscrits nous sont parvenus, chance que plusieurs écrits d’Aristote n’ont pas connue. Malgré ce succès, l’auteur reste anonyme.
Revenons à notre intrigue.
Le texte nous décrit la chambre d’Asenet. L’éditeur, trouvant que cette description présente quelques traits communs avec un passage des Métamorphoses d’Apulée, nous conforte dans l’idée que l’auteur imite bien le roman grec. Mais voila que Joseph arrive chez son hôte et que “celui-ci se réjouit d’une très grande joie”. Je n’ai pas retrouvé ce type de tournure dans Apulée, mais je ne doute pas qu’avec un peu de patience cela devrait être possible. De même, Asenet, voit ses parents revenir “du champ de leur héritage”. Cette expression qui nous est quelque peu obscure, était sans doute évidente pour les païens de l’époque. Autre coutume grecque intéressante: Asenet se revêt d’un voile. Les lecteurs grecs aimaient aussi les descriptions délicates et romantiques des émois féminins: Lorsque Asenet aperçoit Joseph:

ses entrailles furent rompues, ses genoux fléchirent, elle trembla de tout son corps et fut saisie d’une grande frayeur.

C’est la description, nous dit une note, du fameux coup de foudre du roman hellénistique. Suit un long monologue d’Asenet (une note nous précise que le monologue était familier des romans antiques). Asenet y fait des observations curieuses. En substance, on y apprend qu’elle deteste Joseph car il est le fils d’un obscur berger cananéen. Autrement dit, bien qu’elle l’appelle fils de Dieu, Joseph n’est pas un fils de bonne famille. Le lecteur grec païen adorait certainement ce type de formules. Flaubert s’en souviendra dans Bouvard et Pécuchet. A peine Asenet a-t-elle formulé ces mauvaises pensées relatives à la basse extraction de Joseph, qu’elle regrette aussitôt celles-ci et en vient maintenant à souhaiter devenir la servante de Joseph.
Joseph découvre ensuite l’existence d’Asenet. Conformément au stéréotype romanesque du bourreau des cœurs, il craint que cette femme ne l’importune et demande à son hôte le départ de cette créature. C’est alors que se produit un rebondissement spectaculaire qui a dû certainement contribuer à l’immense succès du roman: Pentéphrès annonce à Joseph qu’en réalité Asenet n’est pas une étrangère, mais qu’elle est sa sœur. Joseph est alors saisi (toujours d’une grande joie) et décide que puisqu’Asenet est sa sœur, il va l’aimer. La mère d’Asenet annonce à sa fille que Joseph est son frère et lui demande de l’embrasser. Mais alors qu’Asenet s’approche de Joseph, un second bouleversement se produit dans l’économie narrative de notre roman: Joseph repousse Asenet avec horreur car il réalise que c’est une idolâtre. On comprend le triomphe que ce passage a pu faire auprès du lectorat païen. Affligée par ce rejet, Asenet se répand en gémissements, au point que Joseph, ému, décide de la bénir. Asenet se réjouit de cette bénédiction (d’une grande joie) et monte dans sa chambre, dans une scène très classique, dans laquelle elle se jette sans force, anéantie, sur son lit de vierge. Joseph quitte ensuite la maison d’Asenet, mais promet de revenir le huitième jour. Asenet met à profit ce laps de temps pour jeûner et pleurer “jusqu’au coucher du soleil”. Elle élève alors une prière émouvante au Dieu unique à laquelle les lecteurs grecs n’ont certainement pas été insensibles. Cette prière dure toute la nuit, jusqu’au lever de l’étoile du matin. Grande joie alors chez Asenet qui voit dans cette étoile un messager de la lumière du grand jour. Effectivement, un ange lui apparaît et l’appelle de son nom. Conformément, je suppose, aux règles du roman grec, l’ange l’appelle deux fois: Asenet ! Asenet! et l’héroïne, très classiquement lui répond “Me voici”. Cet ange ne cesse de l’encourager selon les canons de l’hellénisme:

Courage, Asenet, ton nom est écrit dans le livre de vie…

Une note nous rappelle opportunément que ces exhortations relèvent des cultes à mystères. C’est qu’on aurait pu finir par penser que nous avions à faire ici à un midrash. En effet, dans Tobie aussi, Tobit apprend à son fils que Sara est sa sœur. Tobie décide alors sur le champ qu’il aime Sara, sans même l’avoir vue. Il est vrai que cette objection n’est pas décisive car Tobie est peut-être aussi un roman hellénistique. Suit alors un chapitre quelque peu obscur pour nous, mais qui devait être familier aux habitués des cultes à mystères: l’ange annonce à Asenet qu’elle va trouver dans sa chambre un rayon de miel. L’ange mange de ce rayon, en fait manger à Asenet, et du sang apparaît sur ses doigts, des abeilles sortent du rayon, l’ange fait mourir et revivre les abeilles, en un mot nous assistons à un rituel mystérieux susceptible de plaire aux païens. C’est ensuite le retour de Joseph, moment-clé de ce palpitant roman. Joseph lui demande d’ôter son voile désormais inutile. Asenet lui lave les pieds, sans doute une coutume gréco-égyptienne de l’époque, et Joseph se prépare à épouser Asenet. Les noces célébrées: Joseph alla vers Asenet. Elle conçut de Joseph et mit au monde Manassé et Ephraïm.
Le lecteur peu convaincu par les sortilèges du roman grec pourra se reporter ci-dessous à l’étude midrashique du même roman, mais dans une autre recension.

Joseph et Asenet
Le modèle de la conversion eschatologique.

“Joseph et Asenet” (Asnat, en hébreu) est un texte apocryphe.On peut dire que c’est un midrash sur Gn 41,45:

Et Pharaon imposa à Joseph le nom de Çophnat-Panéah et il lui donna pour femme Asnat, fille de Poti-Phéra, prêtre d’On. Et Joseph partit pour le pays d’Égypte.

Comment Joseph, figure messianique, peut-il avoir épousé une païenne, fille d’un pontife idolâtre ? Pour combler cette faille, le midrash va “inventer” qu’Asenet s’est convertie précisément lors de l’arrivée messianique de Joseph. Il produit un texte qui traite – une fois de plus – de la conversion des païens lors de la venue du Messie.

Dans la première année des sept années d’abondance, Pharaon envoya Joseph ramasser des vivres. Il vint aux frontières d’Héliopolis, et Putiphar, prêtre, prince des Satrapes et conseiller de Pharaon, était prince de ce pays. Il avait pour fille Asenet, dont la beauté surpassait celle de toutes les vierges de la terre, et qui était en tout semblable aux filles des Hébreux, élevée et superbe, méprisant tout homme, quoiqu’elle n’eût jamais vu aucun homme.

Asenet n’a jamais vu aucun homme, elle était donc enfermée, tout comme Miriam lorsqu’elle était lépreuse. Asenet est comparée aux vierges, elle est donc aussi une ‘alma (jeune fille, vierge, recluse) comme Miriam. Bien que païenne, elle est « en tout semblable aux filles des Hébreux ». En quoi l’est-elle? Réponse étonnante: par l’orgueil, le sentiment d’être supérieure, élevée (cf. Miriam de magdala, de gadol = grand, élevé).
Car il y avait une tour (migdal) grande et élevée, jointe à la maison de Putiphar, au-dessus de laquelle il y avait un étage divisé en dix chambres. Et il y avait dedans des statues en or et en argent des dieux de l’Égypte qu’Asenet honorait et craignait, et chaque jour elle offrait des sacrifices. La seconde chambre renfermait les parures d’Asenet, faites d’or et d’argent et de pierres précieuses et de tissus très fins. Dans la troisième chambre étaient tous les produits les plus excellents de la terre, et c’est là qu’Asenet prenait ses repas… Dans les chambres d’Asenet il y avait trois fenêtres. La première était très grande? et tournée du côté de l’orient; la seconde regardait le midi et la troisième le nord. Et il y avait un lit d’or couvert de tissus de pourpre brodée d’or et d’hyacinthe, dans lequel Asenet dormait seule, et aucun homme ne s’était assis sur ce lit, et autour de sa demeure il y avait une grande cour dont les murs étaient très élevés et construits de pierres carrées, et dans cette cour, il y avait quatre portes de fer que gardaient dix-huit jeunes gens très braves et bien armés.
Il y avait du côté droit de la cour une fontaine d’eau vive, et au-dessus, une citerne qui recevait les eaux de la fontaine, et qui arrosait tous les arbres beaux et chargés de fruits qui étaient dans la cour. Et Asenet était grande comme Sara, agréable comme Rebecca et belle comme Rachel. Joseph adressa un envoyé à Putiphar pour lui annoncer qu’il s’arrêterait en sa maison. Et Putiphar s’en réjouit et il dit à sa fille que Joseph, le protégé de Dieu, allait arriver, et qu’il voulait la lui donner pour épouse. Elle répondit avec indignation qu’elle ne voulait point être donnée à un captif, mais au fils d’un roi. Et tandis qu’ils parlaient, Joseph vint assis dans le char de Pharaon… Putiphar et sa femme vinrent à sa rencontre et l’adorèrent, et Joseph entra dans la cour, et les portes de la cour se fermèrent, et Asenet vit Joseph et elle fut troublée au sujet de ce qu’elle avait dit de lui, et elle dit: “Voici que le soleil vient vers nous dans son char; je ne savais pas que Joseph était le fils de Dieu, et quel est l’homme qui aurait pu engendrer autant de beauté, et quelle est la femme dont la vertu aurait pu porter autant de lumière”.
 Notez le nombre de phrases commençant par « et ». Ce n’est pas tout à fait le style de l’Iliade. Le symbolisme messianique (le soleil) apparaît ici clairement, et le midrash s’offre même le luxe de faire des croyances locales (le char du soleil de la mythologie égyptienne) un cas particulier de ce symbolisme. Joseph est donc ici clairement le messie. On voit que le concept midrashique de “fils de dieu” existe déjà dans ce texte, ce qui a fait dire que ce texte était chrétien. C’est oublier que le midrash joue simplement sur les paroles de sa mère, Rachel, qui dit, à la naissance de Joseph: “Dieu m’a ajouté un fils”. Cela suffit au midrash pour que Joseph puisse être dit ”fils de Dieu”.

Et Joseph entra dans la maison de Putiphar, et ils lavèrent ses pieds.

Le lavement des pieds est lié à la conversion, à cause d’Abraham qui est un faiseur de prosélytes. C’est lui qui lave des pieds des passants.
Et Joseph dit: “Quelle était cette femme qui était dans la cour à la fenêtre? qu’elle sorte de cette maison”. Car il craignait qu’elle ne fût un sujet de trouble pour lui, comme toutes les autres qui lui envoyaient, à l’envi, des émissaires, avec des présents de divers genres, qu’il repoussait avec indignation et mépris. Et Putiphar dit: “Seigneur, c’est ma fille qui est vierge et qui a de la haine pour tous les hommes, car jamais elle n’a vu d’homme dans sa vie, si ce n’est moi et toi aujourd’hui. Si tu veux, elle viendra et te saluera”.
Joseph, pensant que, si elle haïssait tous les hommes, elle ne serait jamais importune pour lui ou pour son père, dit: “Puisque votre fille est vierge, je l’aime comme ma sœur”. Et sa mère monta et l’amena en présence de Joseph. Et son père lui dit: “Salue ton frère qui hait toutes les femmes étrangères, comme toi, tu hais tous les hommes”.
La haine de Joseph pour les “femmes étrangères” (nokhriot) est celle de l’idolâtrie. La « haine des hommes » d’Asenet, en est la contrepartie, elle est celle des “maris”, c’est-à-dire par double entente, des baalim (dieux de l’idolâtrie).
Et Asenet dit: “Salut à toi qui es béni par le Dieu puissant!
Et Joseph dit: “Que Dieu, qui donne à tous la vie, te bénisse!
Et Putiphar dit à sa fille d’embrasser Joseph. Comme elle allait le faire, Joseph étendit la main et la mit sur sa poitrine, disant: “Il ne convient pas qu’un homme qui adore le Dieu vivant, et qui mange le pain de vie et qui boit le calice incorruptible, embrasse une femme étrangère qui embrasse des idoles sourdes et muettes, et qui mange le pain de leur table et qui boit le calice de malédiction venant des embûches, et qui s’oint d’une huile profane”. Asenet, entendant les paroles de Joseph, fut très affligée et elle pleura. Et Joseph eut pitié d’elle, et il mit sa main sur sa tête et il la bénit. Et Asenet se réjouit de cette bénédiction et elle se mit sur son lit, et elle fut malade à cause de sa crainte et de sa joie. Et elle fit pénitence à cause des dieux qu’elle avait adorés, et elle y renonça.
La renonciation à l’idolâtrie équivaut à la pénitence, au retour, et à la conversion.
Et Joseph mangea et but. Et lorsqu’il voulut se retirer, Putiphar voulut retenir le jour, mais il ne le put pas, et Joseph s’éloigna, promettant qu’il reviendrait le huitième jour.
Le huitième jour est donc bien lié, dans le midrash, à la venue messianique.
Et Asenet mit une tunique noire qui était le vêtement de son deuil, lorsque son frère le plus jeune était mort.
La conversion entraîne une nouvelle vie, une renaissance. Cette métaphore est prise au pied de la lettre. L’ancienne Asenet meurt. Et la nouvelle Asenet prend le deuil de l’ancienne.
Et ayant fermé les portes sur elle, elle pleura et elle jeta toutes ses idoles par la fenêtre qui était tournée du côté du nord;
Le Nord est la direction de l’exil et du paganisme.
Et elle jeta aux chiens tout son repas préparé comme pour une reine,
Les chiens sont une appellation de l’idolâtrie.
Et elle mit de la cendre sur sa tête et sur le pain. Et elle pleura amèrement pendant sept jours.
Les sept jours évoquent la durée de la réclusion précédant la purification et permettant “l’entrée”.
Et le huitième jour, dès l’aurore, les coqs chantèrent et les chiens aboyèrent.
L’aurore, la lumière, désignent le messie. Attendu tant par les Juifs (les coqs) que par les idolâtres (les chiens). “Pourquoi les Juifs sont-ils comparés à des coqs? Parce qu’ils attendent l’aube (le messie) et qu’ils accueillent son arrivée par des chants.”
Et Asenet regardait par la fenêtre qui était tournée du côté de l’orient, et l’étoile Lucifer s’y montrait, et le ciel se fendit et il apparut une grande lumière. En la voyant, Asenet tomba sur sa figure sur la cendre? et voici qu’un homme descendant du ciel s’arrêta sur la tête d’Asenet, et il l’appela par son nom; mais elle ne répondit pas, car elle était saisie de frayeur. Et il l’appela une seconde fois: Asenet, Asenet. Et elle répondit: “Me voici, Seigneur; qui es-tu? Apprends-le moi”. Et il répondit: “Je suis le prince de la maison de Dieu et le prince de l’armée du Seigneur; lève-toi et mets-toi sur tes pieds, et je te parlerai”. Et Asenet leva la tête.
On notera le hineni (me voici) d’Asenet. Le passage est homologue à l’épisode de la conversion de Paul sur la route de Damas, dans les Actes.
Et voici qu’un homme en tout semblable à Joseph, tenant une baguette royale et ceint d’une couronne, était devant elle.
Joseph est vice-roi d’Égypte, mais surtout, c’est le Roi-messie.
Son visage était comme l’éclair, et ses yeux comme les rayons du soleil et les cheveux de sa tête comme une flamme de feu. Et Asenet, le voyant, fut frappée de frayeur; elle tomba sur la face mais l’ange, la rassurant et la relevant, lui dit: “Quitte ce cilice noir dont tu es couverte et ôte le sac qui entoure tes reins, et secoue la cendre? qui est sur ta tête et lave ta figure et tes mains dans de l’eau courante?, et orne-toi de tes parures, et je te parlerai”. Et lorsqu’elle se fut hâtée de se parer, elle revint vers l’ange, et l’ange lui dit: “Ote le voile qui est sur ta tête, parce que tu es vierge. Réjouis-toi et rassure-toi, vierge Asenet; car ton nom est écrit dans le livre des innocents, et il ne sera point effacé dans l’éternité.
Les prosélytes sont lavés de tout péché. Ce sont des nouveaux nés, ils sont donc innocents. Le voile rappelle Tamar (Gn 38,14).
Voici que d’aujourd’hui tu es renouvelée et vivifiée, et tu mangeras le pain de la bénédiction, et tu boiras le breuvage qui ne se corrompt pas, et tu seras ointe du saint chrême. Et voici que je t’ai donnée aujourd’hui pour épouse à Joseph, et ton nom ne sera plus Asenet, mais il signifiera un grand refuge.
Le nom d’Asenet a une valeur numérique de 52, valeur messianique. Ce “refuge” traduit le terme hébreu manos (Jr 16,19) Asenet fuit (nos) l’idolâtrie et se réfugie sous l’aile de la shekhina. Jeu de sons sur nos et nes (miracle).
Car la pénitence (teshuva), qui est la fille du Très-Haut, a imploré pour toi le Seigneur. Vierge, sois toujours modeste et joyeuse. Et Asenet ayant demandé à l’ange quel était son nom, il répondit: “Mon nom est écrit du doigt de Dieu dans le livre du Très-Haut, et toutes les choses qui sont écrites en ce livre sont impénétrables à l’homme; et nul mortel ne peut ni les entendre ni les dire”. Et Asenet dit en prenant l’extrémité de son manteau:
On retrouve le thème des “franges” du manteau, qui sont aussi les rayons du soleil.

“Si j’ai trouvé grâce à tes yeux, assieds-toi sur ce lit, sur lequel personne ne s’est jamais assis, et je te préparerai à manger”.

Le lit d’Asenet est inviolé parce qu’elle est vierge.

Et l’ange dit: “Apporte promptement ce qu’il faut pour le repas”.

Il s’agit du repas eschatologique.

Et elle apporta du pain et du vin doux et une table neuve.

Le vin et le pain, symboles de la Loi font l’objet d’une nouvelle donation, d’un nouveau Sinaï. La table est le lieu de la conversion. Le vin doux est la loi devenue agréable.

Et l’ange dit: “Apporte-moi un rayon de miel” (ya’ar devash) Et comme elle restait debout tout affligée, parce qu’elle n’avait pas de miel, l’ange lui dit: “Entre dans ta chambre, et tu y trouveras un rayon de miel sur la table”. Et elle trouva du miel blanc comme la neige et d’une douceur extrême et de l’odeur la plus suave. Et Asenet dit: “Seigneur, je n’avais pas de miel, et ta bouche sainte a parlé, et la chose s’est accomplie; l’odeur de ce miel est comme l’haleine qui sort de ta bouche”.

Le miel est le symbole de la nouvelle loi offerte aux nouveaux convertis, qui sont eux-mêmes blancs comme neige, c’est la nourriture des nouveaux nés (associée au lait, d’où “le lait et le miel” Halav u-devash). Le miel est créé par les abeilles (deborim, qui sonne comme les “paroles” de Dieu: diberot, les commandements divins) mais le miel est “préparé”, élaboré par ces deborim. On retrouve la thématique des noces de Cana.
L’haleine évoque la (nouvelle)création: Alors Yahvé Dieu modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine (nishmat) de vie et l’homme devint un être vivant (Gn 2,7).
Les convertis sont, littéralement, des nouveaux nés, ils viennent d’être créés, on a donc une nouvelle création du monde.
Et l’ange sourit, et étendant la main, il toucha la tête d’Asenet en disant?: “Tu es heureuse, parce que tu as renoncé aux idoles et que tu as cru en un Dieu unique. Et heureux ceux qui s’approcheront du Seigneur dans un esprit de pénitence; car ils mangeront de ce miel qu’ont fait les abeilles du paradis de Dieu avec le suc des roses du paradis. Et tous les anges de Dieu en mangeront, et quiconque en mangera ne mourra point dans l’éternité”. Et, étendant la main, il brisa un très petit morceau de gâteau de miel et il le mangea, et il mit le reste dans la bouche d’Asenet et il dit: Voici que tu as mangé le pain de vie et que tu as été ointe du saint Chrême; et de ce jour, tes chairs seront renouvelées, et tes os seront guéris, et ta force ne défaillira point; et ta jeunesse ne verra point la vieillesse, et ta beauté ne disparaîtra pas, et tu seras comme une métropole élevée pour tous ceux qui se réfugieront en invoquant le nom du Seigneur Dieu tout-puissant et Roi des siècles”. Et il étendit sa main et il toucha le gâteau de miel qu’il avait brisé, et il se trouva entier comme précédemment.
Cette nouvelle nourriture sera inépuisable.
Et ayant étendu la main droite, il toucha de son doigt le bout du gâteau de miel du côté de l’orient. Et il retira son doigt et il toucha le côté qui regardait le couchant, et la trace de son doigt fut marquée par du sang. Il étendit de nouveau sa main et il toucha le côté du gâteau qui était vers le nord, et il toucha ensuite le côté qui regardait le midi, et la trace de son doigt fut marquée par du sang; et il dit à Asenet: “Regarde! Et une foule d’abeilles blanches comme la neige sortirent du gâteau de miel qui était dans ses mains, et elles en mangeaient. Et l’ange dit aux abeilles: “Allez en votre place”. Et toutes s’envolèrent du côté de l’orient vers le paradis. Et l’ange dit: “Il en sera de même de toutes les paroles que je t’ai dites aujourd’hui”.
Tout le passage résulte de la proximité phonétique entre dabar (la parole de dieu) et deborim (les abeilles)
Et l’ange étendit encore la main et toucha le gâteau de miel. Et il sortit de la table un feu qui consuma le gâteau et qui ne toucha pas à la table, et le parfum très suave de cet incendie se répandit au loin. Et Asenet dit à l’ange: “Seigneur, j’ai avec moi sept vierges nourries avec moi dès leur enfance, et qui ont été engendrées la même nuit que moi. Je les appellerai, et tu les béniras comme tu m’as bénie”. L’ange lui ordonna de les appeler et il les bénit, disant: “Que le Seigneur Dieu et Très-Haut vous bénisse, et vous serez comme les sept colonnes de la cité de refuge”.
Les autres nations sont bénies du fait de la conversion d’Asenet.
Et il ordonna à Asenet d’enlever la table, et, tandis qu’elle l’enlevait, l’ange disparut de devant ses yeux. Et se retournant, elle vit comme un char traîné par quatre chevaux qui se dirigeaient du côté de l’orient, vers le ciel.
La venue du messie est précédée, comme il se doit, par l’arrivée d’Elie. C’est Elie qui a été enlevé au ciel par un char.
Et lorsqu’Asenet priait pour que l’ange lui pardonnât de lui avoir parlé avec tant de hardiesse, voici qu’un jeune esclave de la suite de Putiphar arriva, disant: “Voici que Joseph, le protégé de Dieu, arrive; car celui qui court devant lui est déjà à la porte de votre cour”.
À nouveau, double entente sur le messie et son précurseur.
Asenet se hâta d’aller au-devant de Joseph, et elle se rendit dans le vestibule de la maison.
Il est pratiquement impossible de pointer tous les jeux de sens de ce texte. Chaque expression est à double entente. Ici le vestibule (Hatsar) du temple (bayit) est la nouvelle demeure des convertis. Ceux qui s’adjoignent (nilevim) aux Juifs, deviennent des leviim, des Lévites.
Et lorsque Joseph fut entré dans la cour, Asenet le salua et lui répéta les paroles que l’ange lui avait adressées, et elle lui lava les pieds.
Nouvelle occurrence du thème du lavement des pieds. Nous avons vu que ce thème est celui de la pécheresse pardonnée et de Rahab.
Le lendemain Joseph pria Pharaon de lui donner Asenet pour épouse; et Pharaon la lui donna, et il leur mit sur la tête des couronnes d’or plus belles que celles qu’il avait lui-même;
Les prosélytes sont plus méritants, ils sont mieux récompensés.
Et il fit célébrer leurs noces,
La fusion des Juifs et des païens convertis, est figurée par des noces.
Et il donna un grand festin qui dura sept jours, et il commanda que personne ne travaillât pendant les jours des noces de Joseph.
Rappel du contexte eschatologique.
Et il appela Joseph le fils de Dieu et Asenet la fille du Très-Haut.
Nous venons de voir pourquoi Joseph peut être dit “fils de Dieu”.
(Par lecture hyper-midrashique de Gn 30,24 “et elle l’appela Joseph, disant: que Yahvé m’ajoute un autre fils”). Mais en quoi Joseph peut-il être une figure messianique? Pour une raison tout aussi midrashique: étant un ben (fils) et ce terme ayant une valeur numérique de 52, comme Asenet, et 52 étant le chiffre du mot mashiaH (le messie), Joseph “est” un messie.
Dans la seconde année de la famine, le vingt-unième jour du premier mois, Israël vint en Egypte avec sa famille, et il entra dans la terre de Gessen.
Israël est sauvé de la famine par Joseph, ou encore: sauvé de l’absence de loi par le messie.
Et Asenet vit Jacob et elle l’admira, parce que sa vieillesse était aussi belle que la jeunesse. Sa tête était aussi blanche que la neige, et une barbe blanche tombait sur sa poitrine; ses yeux étaient brillants; ses nerfs, ses épaules et ses bras fermes; ses genoux, ses jambes et ses pieds comme ceux d’un géant. Et Jacob les bénit et les embrassa. Et après le repas, Joseph et Asenet revinrent en leur maison, et Lévi et Siméon les accompagnaient.

• Seconde partie du midrash.

Et le fils de Pharaon, ayant vu Asenet se promener dans la maison de son père, s’enflamma d’amour pour sa beauté, et il parla à Lévi et à Siméon pour qu’ils tuassent Joseph, afin qu’il pût la prendre pour épouse; et il promit de leur donner beaucoup d’or et d’argent, mais ils n’écoutèrent pas ses paroles.
Simon et Lévi sont considérés comme ceux qui ont vendu Joseph. Mais, ayant désormais reconnu en lui le messie, ils lui restent fidèles.
Et le fils de Pharaon commença à accuser Joseph auprès de ses frères Dan et Gad, qui étaient les fils des servantes de Jacob; et il dit qu’il avait entendu Joseph dire à Pharaon qu’après la mort de son père, il les ferait périr, afin qu’ils n’eussent point de part à l’héritage de ses frères, parce qu’ils étaient fils des servantes de Jacob, et que, par envie contre lui, ils l’avaient vendu à des Ismaélites. Et il leur persuada de tuer Joseph, et il voulait tuer Pharaon son père, qui était comme le père de Joseph. Comme il voulait commettre ce crime pendant la nuit, les gardes de son père l’empêchèrent d’approcher, disant: “Ton père a souffert de la tête et il vient de s’endormir, et il nous a défendu de laisser pénétrer personne jusqu’à lui, fût-ce son premier-né”. Et ayant pris avec lui cinquante hommes armés, il se rendit à l’endroit fixé pour l’embuscade où étaient Dan et Gad, et où devaient passer Joseph et Asenet avec six cents hommes armés, qui furent tous tués dans cette embuscade, à l’exception d’un seul qui s’enfuit vers Simon et Lévi. Asenet s’enfuit dans un char, et Benjamin avec elle. Simon et Lévi, prenant tous les hommes armés qui étaient avec eux, poursuivirent ces meurtriers, et les attaquant à l’improviste, ils en tuèrent beaucoup.

• Asenet, double de Joseph.

Un passage midrashique fait d’Asenet la fille de Dina.

Dina sortit pour voir ces filles qui s’égayaient.
Or il se saisit d’elle et coucha avec elle; elle conçut et enfanta Asenet.

Comme pour Joseph, les fils de Jacob veulent sa mort, car elle a été unie à un païen.

Les fils de Jacob se dirent qu’elle devrait être mise à mort, car ils pensaient que les gens de tout le pays allaient dire qu’il y avait une fille prostituée sous les tentes de Jacob. Que fit Jacob? Il écrivit le Saint Nom (de Dieu) sur une plaque d’or qu’il suspendit au cou (d’Asenet) et il la renvoya. Elle alla son chemin. Tout est révélé devant le Saint, béni soit-Il, l’ange Michaël descendit et la prit, puis la transporta en Egypte dans la maison de Potiphar. Asenet était destinée à devenir l’épouse de Joseph.

La seconde partie de notre midrash semble sans rapport avec la première. C’est là, une des difficultés de la lecture du midrash.
Si on le lit comme un roman, il risque de nous tomber des mains, car le scénario semble décidément trop mal ficelé. Or, à bien y regarder, il semble qu’il y ait là un midrash sur l’histoire du viol de Dina.
Simon et Lévi qui avaient vengé Dina, protègent maintenant sa fille Asenet. Dans la version syriaque, Asenet intervient pour que Siméon et Lévi ne se vengent pas de ceux de leurs frères (Dan et Gad) qui ont trahi leur peuple. De même, Lévi empêche Siméon de tuer le fils de Pharaon. Le sens de la fin du récit est donc le suivant: il ne faut pas rendre le mal pour le mal. Ce midrash réparerait en quelque sorte le mal fait aux païens dans le récit de la Genèse.


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