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Allitérations et retroversion

 Allitérations et Rétroversion

L’hypothèse midrashique avance que les premiers textes chrétiens ne sont pas des documents rapportant des faits historiques mais sont des textes de nature midrashique. Cette hypothèse suppose que ces textes ont été écrits en hébreu avant d’être traduits dans leur grec actuel.

Lorsqu’on adopte cette hypothèse on peut, certes avec un peu d’habitude,  « voir » si l’on peut dire l’hébreu sous le grec ou le français. Et ce qui frappe alors c’est le nombre étonnant d’assonances et d’allitérations dans l’hébreu ainsi restitué. Ces jeux de sonorités ou ces jeux de mots ne se réduisent pas au fameux, tu es Pierre et sur cette pierre….Ils sont au nombre de plusieurs centaines. Voir à ce sujet le lien  un jeu de mots par jour  sur le présent site.

Ceci n’a rien d’étonnant d’ailleurs puisque la bible hébraïque est truffée de jeux de sonorités du même type (allitérations, assonances, répétitions,….). 
Mais si ces jeux existent vraiment dans les textes chrétiens, il s’ensuit une conséquence inattendue : c’est qu’on peut s’appuyer sur cette particularité pour résoudre un problème jusque là quasiment insoluble: celui de la rétroversion.
Rappelons en quoi consistait ce problème.
Lors de la traduction en grec de la bible hébraïque (Septante) un mot hébreu pouvait parfois recevoir un équivalent grec toujours le même (exemple: christos  traduisait toujours  l’hébreu משיח messie). Nous classons ces mots grecs dans une « première catégorie ». Mais parfois plusieurs mots hébreux ont reçu le même « traducteur » grec. Ainsi le mot ptôcha (pauvre) pouvait avoir traduit   עני,אביון, דל ,רשׁ (‘ani, ebion, dal rash..) etc. Les mots grecs comme ptôcha  font partie de la deuxième catégorie.

Autre exemple:  le mot grec dunamei fait partie de la seconde catégorie car il peut avoir traduit  au moins huit termes hébraiques. 

Un verset grec qui contient par exemple 10 mots significatifs peut donc recevoir plusieurs milliers de rétroversions possibles en hébreu, selon les simples lois de la combinatoire. Comme l’hébreu « originel » des Evangiles est perdu, n’importe qui peut donc se prévaloir de sa propre rétroversion sans pouvoir jamais apporter la preuve de sa véracité et de son authenticité.

Or les choses pourraient changer si l’on s’appuie sur la présence de jeux de sonorités. Dans ce cas seuls seront retenus les mots hébreux qui font jeux sonores entre eux. Cette propriété des textes évangéliques peut donc nous permettre de lever la plupart du temps l’indétermination que nous venons d’évoquer plus haut.

Prenons un exemple très simple qui va mieux nous faire comprendre la chose.
Dans la fin des Actes (chapitre 28) il est beaucoup question de navigation et de navire.
Notre texte grec parle de ploia (navire, bateau). Mais comment rétrovertir ce terme vers l’hébreu ? Le premier terme qui vient  à l’esprit est aniya (à cause du livre de Jonas). Mais le même livre de Jonas contient un autre terme pour navire qui est sefina. Comment choisir entre ces deux termes ? Sans compter que l’hébreu tardif nous propose d’autres termes: דגוגא, איספקאות etc…
La méthode que nous proposons est de choisir  les mots hébreux en fonction de leur capacité à consonner avec les autres termes du même verset. Certes, les autres termes du verset ne sont pas eux-mêmes encore fixés lorsque nous commençons la rétroversion, mais il y a souvent dans un verset un terme « sûr » (de première catégorie). Par exemple pneuma est toujours ruaH on peut donc s’appuyer sur ces termes « certains » qui nous fourniront  les sonorités auxquelles les autres termes hébraïques recherchés devront « répondre ». Ainsi un verset du NT contenant pneuma devra sans doute comporter des mots hébreux qui consonnent avec ruaH.

Faisons une recherche de concordance sur ploia (navire) avec un logiciel tel que Studio NT. (voir le site www.objectif-transmission.org où l’on peut télécharger gratuitement une version d’évaluation de ce logiciel orienté rétroversion)

On obtient entre autres le verset suivant:

En Ap 18, 31 : Ils pleurent et se désolent (klaiousin kai penthousin) sur elle, les trafiquants de la terre; les cargaisons de leurs navires , nul désormais ne les achète!

Notre ploia (navire) peut être aniya ou sefina. Mais « se désoler » (kai penthousin) peut être rétroverti en sfd, on peut donc raisonnablement opter ici pour sefina, car ce terme fait jeu sonore avec  sfd ספוד (deux lettres communes) ou masa.

Ce verset pourra donc être rétroverti ainsi:

וסחרי הארץ בכים ומספדים עליה כי לא ישבר עוד איש את משא ספינתם 

Comme en Ap 18, 19 on retrouve à nouveau associés nos navires avec la mention de pleurs et de lamentations (klaiontes kai penthountes) on peut penser que le rédacteur évangélique originel avait bien l’intention de faire jouer « navire » et « pleurs » en hébreu. Par la suite, le traducteur de ce texte originel vers le grec a bien vu le jeu de sonorités, mais n’a pu le rendre en grec. De fait la plupart des jeux de mots ou de sonorités sont « lost in translation ». Que fait alors notre traducteur ? Il signale en quelque sorte le jeu de sonorités en le déplaçant ailleurs dans le verset (quand cela est possible). Autrement dit, il produit de toutes pièces, quand c’est possible, un nouveau jeu de sonorité en grec pour nous signaler qu’il n’a pas pu rendre en grec un jeu de sonorités sur l’hébreu. Nous proposons donc la règle suivante: si un verset néo-testamentaire présente un jeu de mots ou de sonorité en grec, c’est que le même verset contenait un jeu de mots en hébreu mais ailleurs que dans les équivalents des mots grecs.

Revenons à la rétroversion. Il existe de nombreuses rétroversions des Evangiles ou même de l’ensemble du NT. Celle de Greenfield par exemple qui est un véritable tour de force, ou encore celle de Delitzsch. On pourrait donc se demander pourquoi il faudrait une nouvelle rétroversion.  De fait si nous pensons que ces rétroversions sont insuffisantes ce n’est pas que l’hébreu restitué ne soit pas assez « élégant » à nos yeux ou que les termes choisis ne nous plaisent pas. Il s’agit d’un problème de méthode.

L’immense travail de Greenfield pêche par un défaut majeur: l’hébreu de sa rétroversion est essentiellement biblique. Or nous savons par les travaux de B. Dubourg que le NT utilise largement un second registre de langue qui est l’hébreu tardif et qui contient diverses strates comme l’hébreu mishnique, ou des termes venus de l’araméen ou d’innombrables termes grecs ou latins empruntés et translittérés de façon fantaisiste. Il en est de même pour la rétroversion de Delitzsch qui porte sur l’ensemble du NT, encore que contrairement à celle de Greenfield, elle prend en compte l’araméen de la Peshitta. Delitzsch dans sa rétroversion de notre passage des Actes,  rend bien ces pleurs et lamentations par boco vesafod, mais il garde oniot pour navires. Ce choix systématique nous semble arbitraire: nous proposons quant à nous de choisir en fonction des sonorités du contexte de chaque verset, or ici sefinot assonne avec sefod.

Continuons notre analyse des versets contenant le mot ploia (navire)

En Ap 8,9 nous lisons :

il périt ainsi le tiers des créatures vivant dans la mer, et le tiers des navires fut détruit.

Si on infère la présence de nephesh pour ktismatôn (les « créatures ») on optera à nouveau pour sefina car il assone mieux avec nefeshIl n’est pas question ici d’exclure a priori le terme aniya (navire). Il s’avère simplement qu’à chaque fois c’est le terme sefina qui assonne le mieux avec les autres termes du verset.

Continuons notre inspection des navires du Nouveau Testament:
Ac 21, 2 : Ayant trouvé un navire en partance pour la Phénicie (Phoinikên) nous y montâmes et partîmes. Le terme פוניקא a deux lettres communes avec sefina (P et N)
Ac 27, 10 : les navires sont de nouveau mis en contact avec le terme nefeshIdem en Ac 27, 37 : Nous étions en tout sur le navire deux cent soixante-seize personnes. 

• Intervention des valences

On sait que le midrash rapproche les mots de mêmes sonorités mais aussi les mots de même valence. Par exemple ici la présence de nefesh n’est pas fortuite. On sait  que nefesh possède la valence messiannique (52)

Il se trouve que la valence de ספינה est de 57 comme celle de כנישא. Or on sait que l’Eglise est figurée par un navire ou par l’arche de Noé.

Il en est de même pour le terme Île. Dans le NT,  île est le grec neso. En principe le terme biblique pour île est i (alef yod) אי.  Cependant en hébreu tardif on trouve le grec d’emprunt nes, nisa qui se trouve proche de l’hébreu nes (miracle, signe, drapeau). En Ap 16, 20 nous lisons: Alors, toute île prit la fuite, la présence de ce verbe « prendre la fuite « lanus  » nous incite à privilégier pour le mot île, le mot hébreu nes, nisa à cause de l’assonance. Il faut cependant vérifier que ce choix se reproduit par ailleurs.

On le vérifie en Ac 28,9 : Sur quoi, les autres malades de l’île vinrent aussi le trouver et furent guéris.
l’hébreu tardif pour guérison asia assonerait bien avec nisa.

Encore faudrait-il être certain que le NT a privilégié le terme asia  (אסיא) pour la guérison (asia s’écrit comme le terme pour Asie) et non la racine RPH . Certes asia est le choix systématique de la peshitta, mais cela ne suffit pas. En Ac 27, 2 nous rencontrons une co-occurrence entre sefina et asia : Nous montâmes à bord d’un vaisseau d’Adramyttium qui allait partir pour les côtes d’Asie.

Là aussi la vérification par les valences peut nous aider. Les deux valences usuelles de asia sont 27 et 72 tout comme la grâce (Hesed). Pour montrer que ce rapprochement n’est pas le fruit de notre imagination, il faudrait trouver un verset qui contienne guérison (ou Asie) et Grâce. Or c’est le cas dès le début de l’Apocalypse : Jean, aux sept Églises d’Asie. Grâce et paix ….

• Méthodologie

Nous pouvons également formuler une seconde règle déjà pressentie par B. Dubourg. Qand un terme grec est passé en tant qu’emprunt dans l’hébreu tardif, il faut penser à le maintenir comme candidat à la rétroversion plutôt que de prendre un terme de l’hébreu biblique. Ainsi le grec limenos n’a peut-être pas besoin d’être rétroverti, on peut garder l’hébreu tardif lymyn (port) et elimen (rester au port)

• Un résultat innatendu de la méthode de rétroversion par présomption de jeu de sonorité: la rétroversion du grec stauros (croix)

Les termes croix et crucifier apparaissent environ 60 fois dans le NT. En grec stauros c’est le bois. La traduction latine a traduit stauros par crux d’où notre croix. La peshitta traduit cette croix par זקיפה   et Delitzsch rétrovertit en  צלב 

Appliquons notre méthode. Soit X le terme hébreu originel (inconnu pour l’instant)  qui a été traduit en grec par stauros. Ce terme doit selon notre hypothèse faire jeu de sonorité (en hébreu) avec les autres termes du verset où il apparaît. Prenons maintenant les versets qui racontent l’épisode de la passion. On lit par exemple en Mt 27, 35: 

Quand ils l’eurent crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort

On sait que  » ils se partagèrent »  est ici ויחלקו. Notre racine X doit faire jeu de sonorité avec Heleq. Le vocabulaire hébraïque relatif aux peines capitales est étendu mais pas infini. Un seul terme conviendrait ici c’est סקל mais il renvoie à la lapidation et non à la crucifixion. On se souvient aussi que le midrash procède par agrégation. La présence des deux vauriens laisse penser que la Passion s’est aussi inspirée de l’épisode de Nabot. Or la mort de Nabot est une seqila. Nous trouvons également dans les versets de la passion des termes qui font assonance avec cette seqila. Par exemple en Mt 27, 28 on revêt Jéus d’une chlamyde. Chlamyde n’est pas  une traduction mais une simple translittération du grec chlamuda. La peshitta a כלמיס (klamis) et l’hébreu tardif a klamus (Jastrow 645) . Au verset suivant on lui met un roseau en main, grec kalamon  passé en hébreu sous forme de qalamos (Jastrow 1378). Selon notre règle n° 2 il nous faut garder ces termes d’emprunt et ici ils sont les seuls à faire jeu de sonorités avec la seqila. On sait que le midrash ne connaît pas la contradiction. Il juxtapose. Ainsi Judas meurt de deux manières différentes sans que cela ne gêne personne. Il en est de même de la manière dont Jésus meurt. D’ailleurs le texte lui même n’exclut pas la lapidation:

Les Juifs apportèrent de nouveau des pierres pour le lapider. Jn 10, 31 ou : Jésus leur dit alors : Je vous ai montré quantité de bonnes œuvres, venant du Père; pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous? Ses disciples lui dirent : Rabbi, tout récemment les Juifs cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas! etc…

De même, le christianisme éthiopien a gardé le terme masqal pour la croix.  

Voici pour terminer un verset qui montre le bien-fondé de notre méthode de rétroversion basée sur la présomption de jeux de sonorités:

1Co 1, 23 nous proclamons, nous, un Christ sur la croix (X), scandale (mikshol) pour les Juifs et folie (kesel) pour les païens, mais pour les appelés… sagesse (sekel)

On y voit qu’un terme comme masqal trouve parfaitement sa place dans ce verset. Mais dans d’autres versets, selon le jeu de sonorités, nous aurons par exemple pour croix le mot arbre (עץ) C’est le cas par exemple en Mc 15, 30 où sauve-toi toi-même en descendant de la  croix peut se rétrovertir en הושע את עצמך ורד  מן העץ