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Imposition du nom

 Imposition du nom

Le midrash peut-il nous permettre de mieux voir et comprendre les merveilles de nos musées ? Arrêtons-nous un instant devant ce vieillard qui écrit le nom de son fils sur une sorte de tablette. Ce tableau illustre un passage des Evangiles. Sept versets (Lc 1,59 à 66) pour nous expliquer la manière dont Jean (YoHanan) reçut son nom, c’est l’indice d’une élaboration midrashique.

Nous allons voir que cette élaboration porte sur la circoncision, moment où l’enfant juif reçoit son nom; sur la tablette sur laquelle Zacharie écrit le nom de son fils et donc sur la notion d’écriture, et notamment sur une inscription un peu particulière, celle du recensement (le grec apographô signifie se faire inscrire). 
Mais pour être crédible, l’analyse midrashique doit expliquer l’ensemble des attributs relatifs à Jean-Baptiste, sans oublier un seul item de la constellation johannique: le nom YoHanan, la circoncision, le silence de Zacharie, l’imposition du nom sur une tablette, l’évocation d’Elie, le fait que Zacharie reparle. Il faut aussi expliquer l’iconologie relative à Jean Baptiste: Jean au désert, ses vêtements, la présence de l’agneau, le fait qu’il tient un roseau, etc.

• La question de l’identité entre Jean Baptiste et le prophète Elie.

Au dire de Jésus lui-même, Jean est Elie:

Et lui, si vous voulez m’en croire, il est cet Élie qui doit revenir (Mt 11,4)

Mais il y a un petit souçi: Selon l’intéressé lui-même, Jean n’est pas Elie:

Qu’es-tu donc? lui demandèrent-ils. Es-tu Élie? Il dit : Je ne le suis pas.  – Es-tu le prophète? Il répondit : Non. (Jn 1, 21)

Dans l’ensemble de la littérature de l’époque seule la littérature midrashique ignore le principe de non contradiction. Nous aurions donc ici une élaboration midrashique. C’est d’ailleurs à l’occasion de cette question de l’identité entre Jean et Elie que les Evangiles introduisent une des six occurrences de la sentence: qui a des oreilles entende. En général une telle formule indique que ce qui vient d’être dit n’est pas à comprendre littéralement, mais qu’il s’agit plutôt de double entente. La formule « si vous voulez m’en croire » qui est elle-même unique, serait probablement une adaptation de la formule midrashique :  » (aujourd’hui) si vous écoutez ma voix »
L’identité entre Elie et Jean explique clairement plusieurs thèmes de la saga de Jean Baptiste comme par exemple le thème de l’opposition au pouvoir royal. Elie s’oppose à Achab, Jean s’opposera donc à Hérode. Elie est persécuté par Jezabel, Jean sera l’objet de la vindicte d’Hérodiade. L’identité Elie-Jean explique aussi le thème du désert : Elie doit fuir Achab et se cacher dans une caverne, Jean fuira donc au désert et sera vétu de peau de bête. Cette identité explique même le curieux pluriel de Luc 1, 80

Cependant l’enfant grandissait, et son esprit se fortifiait. Et il demeurait dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation à Israël;

Le mot ‘aravot (déserts) signifie aussi les cieux. Elie a été enlevé dans les cieux (‘aravot, les nuées Ps 68,5) en attendant sa manifestation à Israël. Jean sera donc caché, non pas dans le désert (‘arava, exemple: Is 35,1), mais dans les déserts (‘aravot) jusqu’au jour de sa manifestation à Israël. L’identité de Jean et d’Elie explique bien entendu le thème du retour. Jean est entièrement associé au retour (teshuva, le repentir) car Elie est lié à la lutte contre l’idolâtrie et pour le retour à Dieu.

De fait, l’ensemble de l’élaboration johannique ne peut se comprendre que par le fait que Jean est Elie. Le texte lui-même nous l’explique:

Il marchera devant lui avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramener le cœur des pères vers les enfants et les rebelles à la prudence des justes, préparant au Seigneur un peuple bien disposé (Lc 1,17)

L’idée d’identifier deux personnages n’est pas nouvelle. Le midrash juif identifie déjà Elie à PinHas, descendant d’Aaron. C’est pourquoi d’ailleurs Zacharie sera prêtre et Elisabeth descendante d’Aaron. Curieusement, la tablette qui reçoit le nom de Jean (le syriaque de la peshitta renvoie au mot pinkas) sonne comme pinHas. Or cette tablette (qui deviendra un plat, pinax par passage au grec) va jouer un rôle important du début à la fin de l’élaboration johannique.

Pourquoi le midrash juif identifie-t-il Elie à PinHas ? A cause d’un attribut commun: la qina. PinHas se caractérise par sa qina (zèle, jalousie, colère). Sa lance (rmH) qui punit l’idolâtrie, inverse la colère divine (Hrm). C’est un héros ou un athlète de la Loi.

Pinhas, fils d’Éléazar, fils d’Aaron, le prêtre, a détourné mon courroux des Israélites, parce qu’il a été, parmi eux, possédé de la même jalousie que moi; (beqanao et qineti) c’est pourquoi je n’ai pas, dans ma jalousie (beqinaati) achevé les Israélites (Nb 25,11)

Elie se caractèrise aussi par sa qina.

(Elie) répondit : Je suis rempli d’un zèle jaloux (qano qaniti) (1R, 19, 14)

On retrouvera donc cette qina chez Jean, mais sous la forme peu reconnaissable du roseau (qane) qui deviendra l’attribut de Jean. C’est le texte même de Luc qui nous l’apprend.

Quand les envoyés de Jean furent partis, il se mit à dire aux foules au sujet de Jean :
Qu’êtes-vous allés contempler au désert? Un roseau agité par le vent ? (Lc 7, 24)

Or le roseau est aussi un calame. Jean Baptiste sera donc souvent représenté tenant un objet qui peut être un roseau ou la lance de PinHas. Le « vent (ruaH) qui agite » est une réutilisation de Juges 13, 25 : et l’esprit (ruaH) de Yahvé commença à l’agiter au camp de Dan. La naissance de Samson, qui est, comme Jean (Lc 1, 15) un nazir, contient une mère stérile, l’annonciation d’un ange et le sacrifice d’un agneau…
En récompense de ce zêle, PinHas (et donc Jean qui est PinHas) reçoit confirmation de la promesse messianique:

C’est pourquoi je dis : Je lui accorde mon alliance de paix (Nb 25,12)

On sait en effet que la paix (shalom) est un équivalent numérique du messie. Cette alliance (berit) explique notamment qu’Elie soit lié à la circoncision (berit mila).
Revenons à Zacharie. Pourquoi bénit-il Dieu ? Parce que celui-ci se souvient (zakhar ou paqad) de la prophétie. Comment se termine la prophétie ? Quel est le dernier mot de la prophétie, du dernier livre des Prophètes ?
Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que n’arrive le Jour de Yahvé, grand et redoutable. Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères, de peur que je ne vienne frapper le pays d’anathème (Hrm). (Ml 3, 23-24)
Le texte de Luc se veut une continuation de la prophétie, son accomplissement. C’est pourquoi Zacharie qui était muet (yidom qui sonne comme dam, le sang) recommence à parler (le-malel) après la mila (mot/circoncision). La prophétie s’était tue, elle reparle. Notre tableau est donc aussi une Annonciation. Dans de nombreux tableaux qui représentent des Annonciations un livre est présent, car le messie est annoncé par l’Ecriture, on a donc ici aussi le symbole de l’écriture.

PinHas illustrait son zèle en punissant les unions illicites:

Il suivit l’Israélite dans l’alcôve et là il les transperça tous les deux, l’Israélite et la femme, en plein ventre. Le fléau qui frappait les Israélites fut arrêté (Nb 25,8)

C’est pourquoi Jean s’opposera lui aussi à l’union d’Hérode avec la femme de son frère. En réalité, il s’agit d’une élaboration autour de l’idée de nida, de l’hérésie. Le texte de Luc parle d’ailleurs bien de rebellion en Luc 1,17 (apeithês traduit la racine mr de la révolte religieuse). Noter que l’action de PinHas et d’Elie a pour conséquence l’arrêt d’un fléau. Un des rituels pour faire cesser le fléau est l’aspersion d’encens:
Aaron…courut au milieu de l’assemblée; mais la Plaie avait déjà commencé parmi le peuple. Il mit l’encens et fit le rite d’expiation sur le peuple (Nb 17,12)
C’est pourquoi, le texte de Luc insiste par trois fois sur le rôle de l’encens (Lc 1, 9-10-11) dans les fonctions de Zacharie, le père de Jean. Comme dans le récit du Recensement de David, l’arrêt du fléau est suivi du rappel de l’institution des sacrifices.
Ordonne ceci aux Israélites : Vous aurez soin de m’apporter au temps fixé mon offrande, ma nourriture, sous forme de mets consumés en parfum d’apaisement (Nb 28, 2).

Revenons à notre tablette ou notre registre (pinkas) qui va jouer un rôle dans la mort de Jean, puisque Hérodiade demande la tête du baptiste sur un pinkas. Ce terme continue à exercer ses effets sonores jusque dans la hache (Cf. Jastrow à pilqis) qui va décapiter le baptiste et, bien entendu, ses anagrammes: kephale (la tête du baptiste) et phulake (la prison où il est détenu). L’élaboration midrashique va aussi jouer sur l’idée de recensement. En effet, le précurseur du messie annonce une visitation (pqd) c’est-à-dire aussi, par jeu de mots sur la racine pqd, un recensement. Joseph doit « recenser » son fils, Jésus; et Zacharie devra donc aussi « écrire le nom de son fils sur un registre ». Or recenser se dit aussi en hébreu élever la tête (st et rosh). On va donc demander par dérision qu’on « recense » Jean, qu’on porte la tête du baptiste sur un registre (pinkas). Résultat imprévu: quand les Evangiles seront traduits en grec, cette tête se retrouvera sur un plat. Pas pour des raisons évènementielles, mais par jeu de mots. Ceci dit, si vous n’aimez pas les jeux de mots, je peux aussi vous proposer une autre raison: c’est que le rédacteur trouve tout simplement cette idée dans le Midrash Rabba sur Esther 4,11 : CE DISCOURS PLUT AU ROI ET AUX GRANDS OFFICIERS (1,21). Il donna un ordre (gazar) et on apporta sa tête sur un plateau (diskos). En général, le diskos est un petit plat qui sert plutôt à recevoir le prépuce du nouveau-né et non sa tête. Il est vrai qu’en la circonstance il s’agit de la tête de la reine Vashti.
On retrouvera bien entendu ce « recensement » dans le récit concernant Jésus, car la Passion est un double de la mort du baptiste. Voilà comment, de proche en proche, détail par détail, s’effectue l’élaboration midrashique. Jean Baptiste sera ainsi persécuté par une reine (Hérodiade) pour la bonne raison qu’Elie était persécuté par la reine Jézabel; il baptisera, car Elisée, le disciple d’Elie, a baptisé Naamân; Jean sera tué au mileu d’un repas, tout comme Joseph et Jésus qui furent livrés au milieu du repas, etc. Jean est d’ailleurs discrètement identifié à Joseph en Lc 1, 25 mais pour voir ce genre de choses, il faut connaître un peu de midrash. Elisabeth y dit: Voilà donc, ce qu’a fait pour moi le Seigneur, au temps où il lui a plu d’enlever mon opprobre parmi les hommes! ce qui est une reprise de la phrase de Rachel à la naissance de Joseph en Gn 30, 23 : Dieu m’a enlevé ma honte.

• Le Vêtement.

En Lc 7, 25 nous lisons à propos de Jean Baptiste: Alors qu’êtes-vous allés voir? Un homme vêtu d’habits délicats? Mais ceux qui ont des habits magnifiques et vivent dans les délices sont dans les palais royaux. Le texte évangélique nous avait déjà décrit en détail le vêtement de Jean-Baptiste: Jean avait son vêtement fait de poils de chameau et un pagne de peau autour de ses reins. Dans ces conditions, pourquoi le texte revient-il sur ce thème ?
Cette insistance trahit sans doute une élaboration. Elle porte sur les habits, délicats et sur des palais dont Jean est bien entendu l’antithèse. Curieusement, ces termes en araméen sont très proches les uns des autres ainsi que de notre pinkas.

• pwnql, pwnqlʾ : garment (vêtement)
• pwnq, pwnqʾ (puwnāqā) : delicacy, pleasure
• pwnwqṭ : type of palace
Pour mémoire: • pynk, pynkʾ (pīnkā) : dish, tablet
• pynkwn, pynkwnʾ (pīnkōnā) : saucer (soucoupe)

Ce type de jeux de mots permettrait peut-être d’expliquer la raison pour laquelle dans un fragment copte des Actes de Paul on peut trouver des termes comme « Jéricho en Phénicie » dans un contexte où Paul s’apprête à baptiser un lion. Comment expliquer cette étrangeté ? Car Jéricho est bien loin de la Phénicie. Or il est important d’expliquer chaque terme. Phénicie aussi. On frise ici l’acrobatie: Jéricho est toujours, dans la Bible, liée au Jourdain et donc ici à Jean Baptiste à cause du contexte baptismal. Ce dernier est lié à la racine pynk du plat et du registre, et comme Phénicie se dit en araméen pwnyq) (vérifiez sur le CAL) le rédacteur a trouvé le moyen d’introduire par midrash une province punique qui n’avait rien à faire ici. Surdétermination oblige: une seconde raison à cette élaboration doit forcément exister. La voici. Jéricho est la ville de Rahab, figure de la conversion des païens. Or Rahab est par midrash une aubergiste: pwndqt.

 

• Le poil de chameau

Jean est vêtu d’un vêtement particulier fait de poils de chameau.

Ce Jean avait son vêtement fait de poils de chameau et un pagne de peau autour de ses reins; sa nourriture était de sauterelles et de miel sauvage. Mt 3,4 

Des observateurs sagaces ont fait remarquer que cet item est inconnu par ailleurs. Aucun vêtement fait de poils de chameau n’existe dans la bible. Or ces poils de chameau s’expliquent parfaitement par le thème du retour (la teshuba, le repentir). Voici comment. Le vêtement c’est LBSh qui fait annagramme avec LaShuB le retour. En Cantique Rabba 5,3 nous trouvons ce passage :

Ouvre-moi : R. Yassa a dit : Le Saint béni soit-il s’adressa ainsi à Israël : mes enfants me présentent une porte de repentir aussi grande que le chas d’une aiguille, mais moi je leur ferai une porte par laquelle pourront passer les chariots et les voitures. CtR 5,3

Nos poils de chameaux sont des shaarot gemalim autrement dit aussi des portes par où passent les chameaux et les caravanes. Car sha’ar c’est la porte et le poil. Elie est d’ailleurs un baal sh’aar (2R 1,8), un porte-toison ou le maître de la porte, ou le maître de la repentance; c’est vous qui voyez. Cette explication présente le léger avantage d’éclaircir l’origine du verset:

Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux. Mt 19, 24

Ce qui ne nous dispense pas d’analyser ce verset pour lui-même et notamment les assonances entre ‘asir (riche) et sha’ar (porte). Le contexte de Cantique Rabba est intéressant à plus d’un titre:

R. Lévi a dit : Si Israël faisait repentance même un seul jour, aussitôt ils seraient rachetés, et aussitôt le fils de David viendrait. Comment le savons-nous ? De ce qu’il est écrit : (Car c’est lui notre Dieu, et nous le peuple de son bercail, le troupeau de sa main) Aujourd’hui si vous écoutiez sa voix ! (ib. 95,7).
R. Yéhuda et R. Lévi ont dit : Le Saint béni soit-il dit au peuple d’Israël Arrêtez, même le temps d’un éclair (Heref) connaissez que moi je suis Dieu.
Ma sœur (aHoti) : parce qu’ils furent étroitement liés (nitaHu) à moi en Égypte par deux commandements, le sang de la pâque et le sang de la circoncision, ainsi qu’il est écrit : Je passai près de toi et je te vis, te débattant dans ton sang. Je te dis, quand tu étais dans ton sang : Vis ! (Ez 16,6) il s’agit du sang de la Pâque. Je te dis, quand tu étais dans ton sang : Vis ! (ib.) il s’agit du sang de la circoncision.

Nous retrouvons ainsi le thème de la repentance propre à Elie et donc à Jean et celui de la circoncision.

• Les sauterelles.

La composition des repas d’Elie au désert n’est pas la même que celle de Jean dans les Evangiles. Dans la Bible, des corbeaux apportent pain et viande le matin et pain et viande le soir. Dans les Evangiles, Jean mange des sauterelles et du miel sauvage. Grave problème. Cela suffit à certains pour mettre en cause l’identité entre Jean et Elie. Pourtant, la répétition de « leHem u bassar » devrait attirer notre attention. Car Jean au désert est dédié à la prédication (bessora). De plus, Elie est un combattant puisqu’il viendra guerroyer (LehilaHem) contre les Empires au moment des guerres de Gog et Magog aux cotés des Israélites. Le midrash chrétien ne fait donc pas d’erreurs, il a la bonne leçon: Jean ne mange pas des sauterelles, il combat (leHem) les sauterelles mais pas n’importe lesquelles. Il combat les quatres types de sauterelles dont parle Joël 1,4 qui sont les images des quatre Empires qui dévorent Israël. Cette image est reprise en Nahum 3, 15 et ailleurs. L’Apocalypse la reprendra naturellement en Ap 9, 3. La note de la BJ rappelle à bon escient que Jérôme savait déjà que les 4 types de sauterelles de Joël représentent les envahisseurs successifs. Après avoir vaincu les Empires, Elie ramènera les Israélites dans leur pays : celui où coule le lait et le miel.

• Le Nom.

On sait que les élaborations midrashiques donnent une grande importance au nom. Le précurseur du messie est Elie, c’est pourquoi on va attribuer à Jean, via l’ange Gabriel, le nom de YoHanan qui est le même nom qu’Elie (il vaut 52 comme Eliyahu). Entre la « période » biblique de PinHas ou d’Elie, et celle de la rédaction des Evangiles, il y a eu l’élaboration maccabéenne. Dans cette élaboration déjà, un Jean-YoHanan, un prêtre, va s’illustrer par ses exploits. Le zèle des Maccabées est d’ailleurs comparé explicitement à celui de PinHas:
Son zèle pour la Loi fut semblable à celui que Pinhas exerça contre Zimri, fils de Salu (1M 2, 26)
En 1M 13, 53 ce Prêtre-Jean est déjà mis en relation avec la racine gbr de Gabriel (Simon vit que son fils Jean était vraiment un homme: geber, ou gibor athlète) et aussi avec la racine gzr (Jean est natif de Gazara, gzr en syriaque est la racine de la circoncision que veut abolir Antiochus et qui est au centre de notre tableau. Aujourd’hui encore, Elie est censé présider aux cérémonies des circoncisions). Jean est même mis en rapport avec la sonorité de la qana via son autre nom: Hyrcan (horqanos). Il met, lui aussi, fin à une nida (hérésie): il détruit le temple des Samaritains.
Ce Jean est surnommé non pas Maccabi comme son frère Juda, mais Gaddi. On se souvient que Gad est le prophète qui fait remontrance à David à propos du Recensement, tout comme Jean Baptiste fera remontrance à Hérode de sa nida (Et comme Lv 20, 21 définit ainsi la nida : L’homme qui prend pour épouse la femme de son frère : c’est une nida, Hérode se verra reprocher d’avoir épousé la femme de son frère).
Cette élaboration a eu des effets amusants dans la réalité puisque des milliers d’historiens ont été
dès lors sommés de trouver dans l’Histoire un roi juif qui avait épousé la femme de son frère.
Comme Elie, Jean Maccabée est mis en relation avec un torrent, il est averti de ce que l’on cherche à le mettre à mort. Comme PinHas et Elie, Jean protège le peuple, en 1M 16, 23 on nous exlique qu’il construisit des remparts. S’il n’y a donc pas de Jean chez les ascendants de Zacharie, il y en a chez ses descendants.
Si Jean Baptiste est bien une élaboration qui continue celle du Jean des Maccabées, lui-même relié à la racine gbr, alors Jean Baptiste doit lui-même être associé à cette racine. Il se trouve qu’il l’est dans un Apocryphe (Le livre de la Résurrection de Jésus Christ par l’Apôtre Barthélemy) et par le truchement d’un coq (geber). Jésus y ressuscite un coq en disant : car le coq annonce d’avance la lumière qui va se lever, il est la figure de Jean-Baptiste…

• Après Zacharie

Dans la succession des livres de la Bible, après Zacharie, il y a Malachie. C’est pourquoi Jean qui vient après Zacharie son « père », sera assimilé à Malachie. Or Malachie signifie mon envoyé ou mon ange. C’est en Malachie 3, 1 qu’il est dit: Voici que je vais envoyer mon messager, pour qu’il fraye un chemin devant moi. Et soudain il entrera dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez; et l’Ange de l’alliance que vous désirez, le voici qui vient! dit Yahvé Sabaot.
C’est pourquoi dans les Evangiles, on a un ange qui apparaît dans le sanctuaire. Malachie est le livre du retour (teshuva) : Ml 3, 7 Revenez à moi et je reviendrai à vous! dit YahvéSabaot. – Vous dites : Comment (bameh) reviendrons-nous? -La réponse à cette question est selon les Evangiles dans la question elle-même (bameh sera lu midrashiquement bamey dans l’eau, d’où le baptême). Malachie contient le thème de l’encens (1,11). Il traite de l’animal défectueux offert en sacrifice (1,8) alors que Jean annonce l’agneau parfait. Malachie vilipende aussi les unions illicites. Malachie présente la venue de l’Ange comme un rétablissement d’un ordre ancien: Alors l’offrande de Juda et de Jérusalem sera agréée de Yahvé, comme aux jours anciens, comme aux premières années (3,4) ce qui est le fait d’Elie, thème connu de Mt 17, 11 Oui, Élie doit venir et tout remettre en ordre. En résumé, il faut relire le petit livre de Malachie pour comprendre le midrash sur Jean et l’identité entre Jean et Elie. Elie est en effet assimilé à un prêtre à cause de son rôle de sacrificateur dans l’épisode des prêtres de Baal.

• Pourquoi Jean est-il voué à la prison puis à la décapitation ?

Nous avons vu que PinHas combat l’union illicite et donc l’hérésie (nida). Or ce que le messianisme chrétien reproche avant tout aux Juifs, c’est l’hérésie absolue qui consiste à nier l’essence de la prophétie (sa tête) à savoir la croyance dans le messie. Origène, qui apparemment comprend encore un peu le discours midrashique, nous livre le fin mot du midrash sur Jean Baptiste :

le chef de la prophétie, les Juifs ne l’ont plus, car ils rejettent l’annonce capitale (kephalaïon) de toute prophétie , le Christ… ils décapitent, après l’avoir enfermée dans une prison, la parole prophétique (Commentaire sur Matthieu).

Accaparer la prophétie, la tronquer de son message essentiel (la venue du messie), priver les païens du bénéfice de sa venue (la conversion), équivaut donc à la décapiter. C’est pourquoi le midrash chrétien fait en sorte que les Juifs demandent littéralement la tête du Baptiste. Chacun sait, en effet, que les Juifs sont du côté de la Lettre.

• Pour conclure.

On voit ici que tout ce que Jean fait, il le fait parce qu’il est Elie. Le personnage de Jean Baptiste n’a aucune autonomie, c’est un artefact construit d’après un cahier des charges rigoureux. En un mot, Jean est un midrash, pas un personnage historique. Toute cette élaboration autour de Jean Baptiste n’est possible que parce que dans la tradition juive, Elie n’est jamais mort puisqu’il a été élevé au ciel. On attend donc son retour. Elie est totalement lié à l’idée de retour, et donc de repentir puisque c’est le même mot en hébreu (teshuva). Elie est défini par deux termes qui signifient retour: Tishbi miToshavé gil’ad (1R 17,1). Dans le second Livre des Chroniques, il est question d’une mystérieuse « écriture d’Elie » miktav éliyahu (2Ch 21,12). On sait que les livres des Chroniques étaient lus de manière midrashique. Elie est donc lié à l’écriture, en plus de son lien avec le roseau (lui-même lié à l’encens via la canne aromatique, Is 43, 24 : pas de midrash sans surdétermination) c’est le dernier indice que nous avons sur Elie. Voila sans doute aussi pourquoi Zacharie devait écrire le nom de son fils sur une tablette.