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La Résurrection de Lazare

 La Résurrection de Lazare

Cette péricope présente de nombreuses difficultés. En nous laissant guider par les sonorités des noms des personnages, nous sommes conduits à postuler une relation entre cette péricope et l’épisode de la mort des fils d’Aaron, dans le Lévitique : Lazare ressemble à Eléazar, Marta ressemble à Itamar.

Dans un passage du midrash Lévitique Rabba nous trouvons une scène de résurrection en liaison, justement, avec la mort des fils d’Aaron, Nadab et Abihu, et le fait que deux autres de ses fils ont été épargnés. Ces deux fils sont justement Eléazar et Itamar, dont Lv 10, 6 affirme qu’ils ne « mourront pas ».

Autre interprétation du verset : “Va prendre Aaron et ses fils avec lui”.
Cela illustre le verset : Délivre ceux qu’on envoie à la mort, ceux qu’on traîne au supplice, puisses-tu les sauver ! (Pr 24,11).
Antonin alla chez Rabbi [Rabbi Yehuda ha-Nassi], et le trouva assis face à ses disciples. Antonin s’adressa à Rabbi : Est-ce là les élèves dont tu es si fier ? « Oui, fut la réponse, le plus petit d’entre eux est capable de faire ressusciter les morts ». Quelque temps après, un esclave d’Antonin était sur le point de mourir. Ce dernier fit dire à Rabbi : Envoie-moi un de tes disciples pour qu’il rende ce mourant à la vie.  » Il lui délégua un de ses élèves. Selon les uns, c’était R. Shim’on ben Halaphta qui y alla. Il trouva l’homme étendu. Il l’apostropha : « Comment se fait-il que tu sois couché là, alors que ton maître (Antonin), se tient debout (littéralement : sur ses pieds) Aussitôt, l’homme eut une commotion et se leva. Lv Rabba 10,4

Nous postulions que le midrash juif contenait déjà tous les éléments qu’on trouve dans les Evangiles. Nous en avons ici une illustration : les résurrections ne sont pas une spécialité évangélique, on les trouve déjà dans le midrash juif.
Comment lire ce passage ? Qu’est ce qu’une résurrection pour le midrash juif ?

Antonin, personnage entièrement midrashique, passe son temps à discuter avec les Docteurs du Talmud et du Midrash sur le mode de la double entente. Pour fixer les idées, Antonin est ce haut personnage qui entretient une correspondance avec Rabbi (Rabbi Yéhuda ha-Nassi). Une correspondance quelque peu originale, on en conviendra, puisqu’elle consiste en un échange de légumes.
Antonin a une fille nommée Guira, qui a commis une faute.
Il envoie à Rabbi une feuille de roquette, Rabbi répond par l’envoi de coriandre. Antonin envoie alors un poireau, à quoi Rabbi répond par l’envoi d’une laitue (avoda zara 10b)
Cette correspondance illustre bien les procédés du midrash. Antonin en envoyant de la roquette (garguira) exprime son souci du moment : sa fille nommée Guira s’est laissée détourner (vers l’idolâtrie, selon Rashi). En répondant par l’envoi de coriandre, kousbarta Rabbi signifie : recouvre (kous) la faute de ta fille (barta). Mais une ambiguïté subsiste car kous signifie aussi immole. C’est pourquoi Antonin souhaite lever l’équivoque : qarti ? (poireau) sonne comme qaret (éliminer) et Rabbi d’envoyer une laitue, Hassa, afin de préciser sa pensée : Hassa (épargne-la).

L’esclave d’Antonin est donc sur le point de mourir, de succomber. Comprenez (si possible, une bonne fois pour toutes) qu’il risque de succomber à l’idolâtrie. Antonin fait donc appel à son ami Rabbi pour qu’il lui envoie un sage capable de le faire “revenir”. Ici, le “convertisseur” doit être, au minimum, un fils de Halaphta (Halaph : changer, convertir, cf. fils d’Alphée en Marc 2,14) pour opérer la “conversion” ou la guérison du malade, qui est aussi sa “résurrection”. Il lui suffit de montrer à l’esclave, que son maître Antonin, un ancien païen (donc un paralytique, selon notre code) a réussi à se tenir sur ses jambes (à se conduire selon la halakha). Piqué au vif, l’esclave se relève illico. Comprenez qu’il renonce à l’idolâtrie. On vérifie ici une nouvelle fois l’équation :
guérison = conversion = résurrection.
Un passage du Midrash Rabba sur l’Ecclésiaste (5,13) place Antonin sur le même plan que Ruth, Rahab et Jéthro. C’est dire que nous sommes encore et toujours dans la même thématique de l’entrée des païens.

Revenons à l’épisode de Lazare.
Cette péricope débute avec la mention d’un malade. C’est donc une scène de guérison. Ce thème bascule ensuite vers une résurrection. Ce qui ne nous étonne pas en vertu de l’équation que nous venons de rappeler. Notre péricope contient en outre un matériel secondaire très riche, qui est essentiel pour son élucidation.
Il y a d’abord le thème des deux sœurs, Marie et Marthe, qui ne semble pas ici indispensable à l’intrigue. Et à travers ces personnages, celui de la “fatigue”.
Il y a ensuite tout un ensemble de détails qui tourne autour de la notion de pierre, de pesanteur, (il est question de lapidation, de Caïphe, de “gloire”) en un mot, toute une “lithologie”, si on nous permet ce néologisme.
Il y a ce qui tourne autour de la Judée, des Romains…
Le thème central de notre péricope, n’est pas différent de celui de l’ensemble des Evangiles. Ici, on ne distingue pas bien si c’est le salut des Juifs qui est au premier plan, ou celui des païens. C’est que, chez Jean plus qu’ailleurs, les deux entités ne sont plus discernables. Juifs et païens sont dans le même état. Les Juifs en effet, du fait de leur exil parmi les nations idolâtres, sont gravement contaminés par la “maladie” par excellence, la seule maladie dont traitent en réalité les Evangiles: l’idolâtrie. Lazare représente peut-être ici le peuple juif exilé-idolâtre. Les autres peuples, les païens, ont déjà fait leur retour, ou sont en cours de conversion, de même qu’une partie du peuple Juif symbolisée par Miriam. C’est maintenant au tour des Juifs de l’exil.

• La méprise.

Les disciples se méprennent sur le sens du mot “repos”. C’est donc qu’il y avait double entente. Autrement, la méprise aurait été impossible. Notre texte fait mine de vouloir dissiper cette méprise, mais en réalité, il la prolonge. Il focalise notre attention sur l’ambiguïté “repos du sommeil/repos de la mort”, ce faisant, on masque encore mieux la véritable double entente, celle entre “mort” et “idolâtrie”.

“Alors Jésus leur dit ouvertement : Lazare est mort”.

Mais on sait qu’il ne parle qu’en paraboles.

Et il ne leur disait rien sans parabole (Mt 13,14)

Au début de notre péricope, Lazare est malade : il risque de succomber à l’idolâtrie. Bien que Jésus aime Lazare, il tarde quelque peu à venir le sauver. On sait que Dieu s’est retiré depuis la destruction du Temple dans un certain “lieu” (maqom) et semble peu pressé de sauver son peuple. Or, dans cette péricope, curieusement, Jésus se déplace à partir d’un “lieu” qui n’est pas précisé, mais qui est toujours nommé par une circonlocution : “dans le lieu où il se trouvait” (vv 6, 15, 30, 32) qui vise à faire entendre le mot “maqom” (lieu et Dieu).
Dieu, lui-même, était donc en exil, dans son “lieu”, en lui-même, ou hors de lui. Toujours est-il que désormais, il revient de son exil vers son peuple. Ce qui explique le verset 11,7 (Allons de nouveau en Judée). Le livre d’Ezéchiel nous montrait Dieu faisant mouvement sur son char (merkaba) pour aller en exil avec son peuple. Ici c’est le mouvement inverse.
Les disciples sont étonnés de ce retour aussi rapide, et opposent un curieux argument : le risque de “lapidation”. En réalité, il s’agit de l’idolâtrie. Le discours des disciples signifie : mais tu veux revenir si vite vers eux, alors qu’ils sont encore idolâtres ? Nous entrons maintenant dans la “lithologie” évoquée plus haut. Le thème de la pierre parcourt toute cette péricope. Les Juifs ont un rapport particulier à la pierre. Comprenons que ce rapport à la pierre est une tendance à revenir aux idoles qui sont, faut-il le rappeler, faites de pierre (certains lecteurs semblent, on peut le comprendre, peu familiarisés avec la technologie de la fabrication des idoles).
Deux sœurs interviennent auprès de Jésus pour qu’il sauve Lazare. Selon elles, c’est de la faute de Jésus, si Lazare est malade-idolâtre. Le Messie a tardé à (le) sortir de son exil.
On notera qu’en hébreu el’azar, miriam et itamar (sans le yod) ont la même valeur numérique de 56. De plus un el’azar est bien mort “en présence” de Jésus, puisqu’il est question de la mort d’un Eléazar à la fin du livre de Josué. Le midrash n’invente rien, il réutilse, il accomplit.
On a vu que Lv 10, 6 promet à Eléaear et à Itamar qu’ils ne mourront pas.
De même en 1Ch 3, 9 on lit:Tamar était leur sœur.

Il y a ici un reproche sous-jacent, porté contre Israël et l’accusant d’avoir souhaité et voulu cet exil-idolâtrie. Thomas, qui est en fait Juda, représente l’incrédulité d’Israël, et exprime cette volonté d’aller vers l’idolâtrie (allons mourir avec lui ).
La guérison-résurrection de Lazare tient tout entière dans cette phrase de Jésus : enlevez la pierre (l’idolâtrie). L’expression “sors dehors” se comprend d’ailleurs mieux, si elle fait référence à l’exil (et aux démons, dont nous avons vu le rapport à l’idolâtrie, démons qu’il s’agit de faire “sortir”). En quoi les Romains présentent-ils un risque d’intervention du fait de la résurrection d’un quidam nommé Lazare ?

Si nous le laissons ainsi tous croiront en lui, et les Romains viendront et ils supprimeront notre Lieu Saint et notre nation

En revanche, si le texte parle de la fin de l’exil, et de la fin des dieux du paganisme, on comprend l’inquiétude des chefs juifs face à une éventuelle réaction romaine. On comprend mieux également le nom de Caïphe, le grand prêtre des Juifs. Il est lui-même associé à l’idolâtrie (kepha = la pierre dont sont faites les idoles), tout comme Simon.

• Fatigue intense.

Dans le livre de Ruth, Noémi, au retour d’Exil, reste à la maison, tandis que Ruth travaille intensément au dehors. On se pose ici la question de savoir ce que signifie la « fatigue » que l’on rencontre si souvent dans le Nouveau testament, et en particulier dans le corpus paulinien.
Exemples :

Rm 16,6 : Saluez Marie, qui s’est bien fatiguée (ekopiasen) pour vous.
Ga 4.11 – Vous me faites craindre de m’être inutilement fatigué
(kekopiaka)
Ac 20, 35 De toutes manières je vous l’ai montré : c’est en peinant (kopiôntas) ainsi qu’il faut venir en aide aux faibles

de même 1Co 15,10 ; Ph 2,16, etc.
La littérature rabbinique définit la Loi comme fatigue: ‘amal ha-tora. Il faut peiner sur la loi au sens d’étudier sans relâche et de supporter le joug des commandements. Ce serait la raison de la fréquence du verbe grec kopos, dans le N.T. À la fin des temps, les Juifs épuisés, devront transmettre leur charge aux païens qui entrent dans l’Alliance, et qui les “remplacent” désormais. C’est pourquoi, ce sont Ruth ou Marthe qui “travaillent” désormais. Noémi et Marie ne “travaillent” plus, elles ne sont plus « en service ». Marta a pour anagramme temura, substitution. Dans le Pseudo-Matthieu, c’est un palmier qui nourrit Marie. Or palmier se dit tamar en hébreu, annagramme de marta. Il y a peut-être ici la trace d’une formation midrashique. La fin des temps représenterait le repos pour les Juifs, elle serait analogue à la sortie d’Égypte, après un labeur épuisant.
Il y a eu dans le Judaïsme ancien, une attente eschatologique d’une loi devenue légère. Ce serait une des dimensions de la cérémonie du Seder, où le récitant invite tous ceux qui le veulent à entrer et à manger le pain sans levain des pauvres. C’est-à-dire à partager la loi devenue légère. Il y aurait donc déjà là une représentation de la loi comme esclavage, et une aspiration au repos.
“Cette année, esclaves (‘abde),
L’année prochaine nous serons libres, (bene Horin)”.
Sous couvert de commémorer la sortie d’Égypte, le Seder est attente de la fin des temps. On prépare l’arrivée de shavuot, fête du don de la loi, et du renouvellement de l’Alliance, en espérant que, cette fois, la loi sera légère.

Texte extrait de l’ouvrage « Un étranger sur le toit » de Maurice MERGUI