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Sous le figuier

 Sous le figuier…

On sait que les Apôtres vont par couples et que Philippe est toujours associé à Barthélémy sans qu’on en sache d’ailleurs bien la raison. Philippe et Barthélemy (Mt 10, 3) Philippe, Barthélemy…(Mc 3, 18) Philippe, Barthélemy (Lc 6,14)

Pourtant, chez Jean, ce n’est plus Barthélemy qui est associé à Philippe, mais un certain Nathanaël. C’est pourquoi des esprits ingénieux ont supposé que Barthélemy et Nathanaël étaient un seul et même personnage (historique, bien sûr).

L’épisode de Nathanaël est étrange. Il aura suffi que Jésus lui dise: avant que Philippe t’appelât quand tu étais sous le figuier, je t’ai vu pour que Nathanaël lui réponde: Tu es le fils de Dieu et le Roi d’Israël. Quel est le rapport entre cette vision sous le figuier et cette réponse sur la royauté ? Nous proposons ici une tentative pour rendre compte de ce passage. Il s’agirait ici d’une élaboration midrashique sur Gn 1, 1 via un verset d’Osée :

comme un fruit sur un figuier en la prime saison ( בראשיתה ), je vis vos pères (Os 9,10)

Si c’est bien le cas, il faudrait que nous trouvions dans Osée l’origine du nom de Nathanaël (Don de Dieu). Or il se trouve que dans la suite du texte d’Osée; nous trouvons ce verset qui par trois fois fait mention du don:

Donne-leur Yahvé (ten lahem) Que donneras-tu ? (ma titen) Donne-leur (ten lahem) (Os 9,14)
תן-להם יהוה, מה-תתן; תן-להם

En l’occurrence, Dieu se promet dans ce verset de donner à Israël des seins (shadayim) ou des champs desséchés. De même, Os 2, 14 fait un jeu de mots sur le don et le figuier:

Je dévasterai sa vigne et son figuier (teena), dont elle disait : Ils sont le salaire (etna) que m’ont donné mes amants; j’en ferai un hallier et la bête sauvage les dévorera.

Enfin, Osée 10, 3 parle d’un roi nié par Israël:

Ils diront : Nous n’avons pas de roi, car nous n’avons pas craint Yahvé, mais le roi, que pourrait-il faire pour nous?

Notre hypothèse d’un midrash sur Os 9, 10 explique la présence d’un figuier, d’un Nathanaël et d’un Roi, mais elle n’explique pas la disparition de Barthélemy. Or nous pensons avoir retrouvé ce personnage dans le Talmaï du verset Os 10, 4 qui parle du sillon des champs (talmei shadaï) dans lequel talmei peut-être lu Talmaï. Cette expression talmei shadaï ( תלמי שדי) revient d’ailleurs en Os 12,12 et il n’est pas impossible qu’elle ait été tirée vers des d’élaborations du type « disciples de Jésus » (talmide yeshu) par une sorte de al tiqra. Nathanaël serait un Israël repenti qui reçoit donc à nouveau les dons de Dieu, il serait un bar Israël, un fils d’Israël ou le blé (bar) d’Israël et donc aussi un « fils du sillon ». En effet, Bar Talmaï = fils de Talmaï= fils des sillons = blé des sillons. Osée s’en prend à Ephraïm et fait de nombreux jeux de sens sur ce terme et celui de peri (le fruit) et donc sur la notion de récolte et de moisson.
Nous savons que Philippe doit son nom à sa confiance dans la puissance politique et militaire (figurée par le cheval et la cavalerie) qui est assimilée à l’idolâtrie. Or ce thème est central chez Osée:

Je ne les sauverai ni par l’arc, ni par l’épée, ni par la guerre, ni par les chevaux (susim) ni par les cavaliers (parashim, terme qui sera ensuite lu: Pharisiens) (Os 1,7)

Le récit relatif à Nathanaël est construit sur une succession de trouvailles (la racine hébraïque de la trouvaille sonne comme celle de la sortie, du commandement et de la matsa, le pain azyme de l’exode) : André trouve Simon, il lui dit : nous avons trouvé le messie, ce dernier trouve Philippe, Philippe trouve Nathanaël. Cette série culmine dans la demande de Nathanaël : quelque chose de bon peut-il sortir de Nazareth ? Et Philippe de répondre sur un mode très pharisien: Sors (tsé) et vois. Cette série de trouvailles accomplirait la trouvaille du verset d’Osée déjà cité : Comme des raisins dans le désert, je trouvai Israël….(Os 9,10). Osée est d’ailleurs un texte qui multiplie les versets dans lesquels on cherche mais on ne trouve pas (2, 8; 2,9; 5,6). Israël est un enfant trouvé, mais au lieu de s’en remettre à son Père, il met sa confiance dans ses institutions politiques. Dans Osée, il existe un thème omniprésent: c’est celui de la (fausse) confiance accordée à la royauté terrestre (au détriment de la royauté divine). Nous avons vu que Philippe figure cet amour de la puissance (la confiance dans le pouvoir politique et militaire) conçu comme une véritable idolâtrie. De même nous avons vu qu’en Os 2,14 Dieu se promet de détruire le figuier en tant que symbole de l’insouciance et de la paix. Ceci nous permettrait peut-être de comprendre en quoi Nathanaël s’oppose à Philippe. Par la droiture, comme il sied à un sillon bien droit et à un fils d’Israël, nom qui contient la droiture (ysr, yashar). Et aussi par le refus de la grandeur. Or ce terme en hébreu est de la racine ram. D’où la phrase de Jésus: Voici vraiment un Israélite sans détour (dolos). Dolos en grec, peut être facilement rétroverti en remiya, il ne s’agit donc pas seulement de ruse et de tromperie (thème important dans Osée), mais aussi de grandeur. Philippe en revanche est encore du coté du pouvoir, c’est pourquoi on le retrouve toujours associé à César et aux chars. Cf. L’Atelier du Midrash.

• Pour conclure.

Jean fait, on le sait, de nombreuses références au premier verset de la Genèse, et bien des élaborations johanniques s’expliquent par le midrash juif sur Gn 1, 1. Il est probable que notre passage s’inscrive dans ce cadre. Plus exactement, le récit relatif à Nathanaël et au figuier serait en fait une reprise du Midrash Rabba sur Gn 1,1. En effet Genèse Rabba 1, 4 contient un passage qui commente le terme bereshit « au commencement ». (Notez qu’Osée commence par le terme teHila « commencement » (Os 1,2) ce qui suffit à le rapprocher midrashiquement de la Genèse)

Six choses sont antérieures à la création du monde. Les unes effectives et les autres en pensées seulement. La Tora et le Trône de gloire étaient effectives. Pour la Tora, comment le savons-nous ? Du verset : Yahvé m’a créée, prémices (reshit) de son œuvre, avant ses œuvres les plus anciennes. (Pr 8,22). Le Trône de gloire, comment le savons-nous ? De ce verset: Ton trône est établi dès l’origine, depuis toujours, tu es. (Ps 93,2).
Les Patriarches…et le nom du Messie existaient en pensée. Pour les Patriarches, comment le savons-nous ? Du verset: comme un fruit sur un figuier en la prime saison (bereshita) je vis vos pères (Os 9,10). . ….
Pour le nom du Messie, comment le savons-nous ? De ce verset: Soit béni son nom à jamais, qu’il dure (yanin, lit: qu’il fructifie) sous le soleil! (Ps 72,17).

• Ce passage midrashique associe donc des entités « créées-incréées » dès l’origine: les Pères (comparés aux fruits du figuier) le Trône divin (et donc la royauté divine) et le nom du messie. Il suffit donc d’évoquer les Pères (via le figuier d’Osée) pour que l’auditeur continue le midrash et comprenne qu’il aboutit au nom du messie. D’où la réponse de Nathanaël sur la royauté du messie et son origine divine (n’ayant pas été créé, le messie n’a pu qu’être engendré il est donc midrashiquement le fils de Dieu).

• Notez également la reprise du refrain midrashique minayin (d’où le savons-nous ?) dans la question de Nathanaël: d’où me connais-tu ?

• Dans le midrash, la foi (qui permet de voir au delà du visible) est récompensée par des visions inouïes. C’est le principe midrashique « mesure pour mesure ». Par exemple Rahab ayant dit: Yahvé, votre Dieu, est Dieu, aussi bien là-haut dans les cieux qu’ici-bas sur la terre, Dieu lui dit selon le midrash: pour ce qui est d’ici-bas tu pouvais voir que Dieu est Dieu, mais pour savoir que c’est aussi le cas en ce qui concerne les cieux, il te fallait la foi. C’est pourquoi Rahab engendrera Ezéchiel à qui il sera donné de voir ce que personne n’a jamais vu. D’où le thème de Rahab voyante et ancêtre de nombreux prophètes. Dans le passage relatif à Nathanaël, Jésus lui dit: Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois! Tu verras mieux encore…..vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. Mesure pour mesure. Ce passage ferait donc référence à l’arbre de la Genèse: le Midrash Rabba rapporte en effet que le vêtement d’Adam fut fait de feuilles de figuier. Nathanaël verra donc ce que Jacob (qui est aussi appelé Israël) a vu, à savoir l’échelle de Jacob. On comprend mieux alors pourquoi notre passage indique: Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois! Ce Parce que était en hébreu le mot ‘eqev qui sonne comme Jacob. Ce ‘eqev est bien entendu lié au messie via les ‘iqve mashiaH les talons du messie qu’il faut surveiller de près…