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David et Bethsabée

 David et Bethsabée

Le Midrash Rabba sur Ruth (2,2) commente un obscur verset du livre des Chroniques : ils demeuraient là avec le roi, attachés à son atelier (1Ch 4, 21-23) et le midrash en conclut ceci : De ce verset, nous apprenons que Ruth la Moabite ne mourut pas avant d’avoir vu son descendant Salomon siéger et juger le cas des deux prostituées. 

 

Telle est la signification du verset : on mit un siège pour la mère du roi, et elle s’assit à sa droite (1R 2, 19). Ce verset se réfère à Ruth la Moabite.

La mère du roi dont parle le verset 1R 2,19 est bien entendu Bethsabée, pourtant le midrash nous dit qu’il s’agit de Ruth. Les deux femmes sont donc assimilées l’une à l’autre. Elles sont identiques sous un certain rapport. Bethsabée serait-elle donc une païenne ?

Autre curiosité, qui concerne cette fois David lui-même : contrairement à la Bible qui affirme que David a fauté en prenant Bethsabée pour épouse, un passage midrashique du Talmud (shabat 56a) affirme:

quiconque dit que David a fauté est dans l’erreur.

Ainsi donc, selon ce midrash, la Tora (qui est la parole de Dieu) se tromperait. Le prophète Nathan se trompe ainsi totalement lorsqu’il réprimande David, et ce dernier aurait donc écrit les Psaumes pour se repentir d’une faute imaginaire.
Lorsqu’un midrash se permet de contredire l’Ecriture, c’est que l’enjeu est de taille. Cette identification de Bethsabée avec Ruth, la païenne convertie, nous conduit à postuler que l’épisode de David et Bethsabée est en réalité non pas un événement historique, mais un midrash centré sur l’eschatologie, la fin des temps et l’entrée des païens.

On se souvient des contorsions du Midrash Rabba sur Ruth lorsque ce texte tentait de nous expliquer que Ruth n’était pas vraiment une païenne, et donc que Boaz pouvait l’épouser : elle s’était déjà convertie…. elle était célibataire…. et de toute manière, un décret du Sanhédrin venait juste de décréter que l’on pouvait épouser une Moabite, etc. (Un Sanhédrin à l’époque des Juges ! Je ne sais pas si vous êtes sensibles à l’humour dévastateur du Midrash ? Non ? Quel dommage !)

Les amateurs de psychanalyse reconnaîtront là le type d’argumentation que Freud appelle l’argument du chaudron.
Un homme prête à son voisin un chaudron et le voisin le lui rend troué. Argumentaire du voisin qui tente de se défendre : ce chaudron n’est pas troué, ce n’est pas moi qui l’ai troué, tu ne m’as jamais prêté de chaudron.
Freud reconnaît dans cette argumentation les procédés du rêve et de l’inconscient, qui masquent en fait un aveu.
Or nous retrouvons dans notre passage midrashique ce type d’argumentation: David n’a pas péché, nous dit le Talmud, car Urie avait donné une lettre de divorce à sa femme, et, de toute façon il s’était rebellé contre le roi, il était donc passible de la peine de mort.
Reste toujours la question : pourquoi dans ce cas la repentance de David ? Pourquoi la réprimande de Nathan ?

Bethsabée figurerait les païens. Elle avait déjà un baal : Urie. Un midrash nous dit que sur l’épée des Amonites, il y avait gravé le nom de leur idole. On nous dit d’ailleurs que David n’épousa Bethsabée qu’après qu’elle se fut lavée de son impureté. David s’enquiert par trois fois auprès d’Urie de son shalom (shalom est un équivalent du messie à cause de leur commune valence 52) et lui demande de se laver les pieds (lire: abandonner l’idolâtrie). En réalité, le texte traite de l’avènement du messie qui est, on le sait, le même événement que l’entrée des païens.

Bethsabée est fille d’Eli’am (valence 52). Son nom, bat sheba’ est lié au chiffre 7 qui est souvent associé aux païens (7 lois noachides, 7 rois de Canaan). Son nom est compris par le midrash comme fille de 7 ans, elle est donc une qetana, une mineure juridique, attribut des païens. C’est pourquoi on fait des jeux de sens sur son âge : elle avait un peu plus ou un peu moins.

Bat-sheba, petite-fille d’Ahitophel le conseiller de David n’avait que 8 ans et 8 mois à la naissance de Salomon (Sanhédrin 69b).

Les Evangiles, midrash fossile, ont gardé la trace de cette élaboration midrashique. En Matthieu, le midrash chrétien fait de Bethsabée, Ruth et Rahab les ancêtres du messie.

David a épousé Bethsabée. Ce thème nous rappelle d’autres mariages : Josué épouse Rahab, Booz épouse Ruth, Joseph épouse Asenet. Or on sait que ces mariages sont en réalité des conversions (lehikanes signifie épouser et faire entrer). Les païens sont destinés un jour à entrer et ce moment est identique à celui de la venue du messie. Le Talmud affirme que Bethsabée était destinée à David depuis les six jours de la création. De même, Asenet était destinée depuis toujours à Joseph, Sara à Tobit, etc. David n’a fait que hâter la fin, là serait sa faute. Mais n’est-ce pas là une faute inhérente à l’idée même de messianisme ? David fait advenir le messie, son fils Salomon est une figure messianique.

Le message central de notre passage serait le suivant : L’idée messianique doit toujours semble-t-il affronter deux épreuves symétriques. Résister au désir maniaque de vouloir hâter la fin et résister à la phase dépressive de la déception et du doute. Après avoir tenté de hâter la fin, David doit surmonter la phase de la perte de tout espoir messianique (le premier fils de Bethsabée meurt). C’est le second fils, Salomon, qui sera une figure du messie aboutie. En Judaïsme un premier messie doit toujours mourir avant que le second ne triomphe. L’union précoce et précipitée avec les païens, qui sont pourtant destinés à s’unir aux Juifs, serait donc une faute majeure, car elle aboutit à tuer l’espoir messianique. Les païens seront toujours trop jeunes. Vient alors la phase de déception : le messie ne viendra jamais. Il faut pourtant selon le midrash surmonter cette phase inévitable. C’est en la surmontant qu’on fait advenir le messie.