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Journal de bord

 Journal de bord

Que penseriez-vous d’un récit dans lequel le héros serait « transporté dans une ville nommée Transe-Port » ou bien encore qui serait un marin dont le fruit préféré serait l’abri côtier ? – Qu’il s’agit d’un texte pour le moins construit et non d’un récit spontané rapportant des faits historiques. Les deux derniers chapitres des Actes sont pourtant considérés comme un exemple même d’Histoire. 

 Ce serait la naissance de l’Histoire chrétienne. Les Bibles indiquent à l’unisson que « la précision du récit (d’Actes 27) donne l’impression d’un minutieux journal de voyage ».

L’exactitude et la minutie du journal de Paul ne crèvent pourtant pas les yeux: nous disposons de plusieurs recensions et de nombreuses variations selon les manuscrits. Ainsi l’île appelée Cauda en Actes 27,6 est rendue par Clauda dans certaines versions. On a vu des journaux de bord plus minutieux. La ville de Lasaïa (Ac 27, 8) est rendue en latin par Thalassa. Soit Jérôme manque de minutie, soit il avait sous les yeux un texte peu minutieux. Le même Jérôme rend Mura (en Ac 27,5) par Lystram, il faudrait qu’on nous explique un jour ces écarts de traduction. Le texte d’Actes 27 regorge de jeux de mots ou de jeux de sonorités et ce, aussi bien en grec que dans le substrat sémitique d’origine, ce qui nous rend plus que sceptiques sur le coté « journal de voyage minutieux » d’Actes 27-28.

• Jeux de mots et assonances

Lisons à haute voix Actes 27,8 en grec. Paul y arrive en un endroit nommé Bons Ports. Jusque là rien d’extraordinaire, sauf que nommé traduit kaloumenon et Bons-Ports Kalous Limenas. Un peu gros, même pour des sourds. Paul a noté minutieusement que près de Phénix (Syriaque: puniqos) se lève un ouragan (Syriaque : typuniqos). Paul a noté aussi que cet ouragan s’appelle Euraklion, or Paul était tout près de Héraklion. Une rétroversion même approximative vers l’hébreu de: On remit Paul et quelques autres prisonniers donnerait : Va-yimaser…’im mispar assirim.

Même si Paul est un observateur minutieux et un marin averti, c’est quand même une vision divine qui le guide. Ou bien l’Esprit:

Le vent ne nous permit pas d’aborder, nous longeâmes alors la Crète vers le cap Salmoné,

Ce vent (ruaH) est évidemment l’Esprit (ruaH) qui, comme pour Jonas, ne permet pas à Paul d’aller en certains lieux :

Parvenus aux confins de la Mysie, ils tentèrent d’entrer en Bithynie, mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas.
Ils parcoururent la Phrygie et la région galate, le Saint Esprit les ayant empêchés d’annoncer la parole en Asie.

Dès son arrivée en Crète (à Bons-Ports justement) Paul voit prophétiquement que le voyage va devenir désormais dangereux, mais il n’est pas écouté. Les Chefs (centurion, capitaine, armateurs) décident d’aller à Phénix, et là, comme prévu, le typhon se déchaine. Paul garde confiance: vous auriez du m’écouter et ne pas quitter la Crète. Un miracle (nes) nous fera échouer sur une île (nes). Mettant fin au jeûne des prisonniers (reprise de celui des Ninivites) Paul encourage ses compagnons à partager la loi (le pain), le trop-de-loi (le blé) est jeté à la mer. La providence empêche les soldats de tuer les prisonniers (les païens). Salut de tous. L’île s’appelle d’ailleurs Salut. On connait la suite : les indigènes païens se montrent accueillants à la parole, contrairement aux chefs ad hoc (les Juifs) qui, eux, n’ont pas écouté Paul (la parole). La même séquence est reproduite en fin du chapitre 28, pour le cas où l’on n’aurait pas bien compris : les juifs n’écoutant pas, on se tourne vers les Païens.Car, eux, ont écouté Jonas. L’ensemble du christianisme semble tenir dans l’histoire de Jonas d’où son incroyable présence dans les toutes premières représentations chrétiennes.

 

• Pourquoi aller à Rome ?

Après avoir visité Athènes, Paul doit visiter Rome. L’eschatologie juive ne connaît que la succession des oppressions et des Empires comme le montre le début du Midrash Rabba sur Esther. Le schéma est clairement annoncé:

Après ces événements, Paul forma le projet de traverser la Macédoine et l’Achaïe … Après avoir été là, disait-il, il me faut voir également Rome (Ac 19, 21).

Après la Grèce, vient le temps de Rome. Une vision nocturne confirme ce schéma midrashique:

La nuit suivante, le Seigneur vint le trouver et lui dit : Courage! De même que tu as rendu témoignage de moi à Jérusalem, ainsi faut-il encore que tu témoignes à Rome.

Le livre de Jonas a donné lieu à de nombreuses élaborations midrashiques. Dans certaines d’entre elles, Jonas avait d’abord été envoyé porter la parole divine à Jérusalem avant d’être envoyé à Ninive. Pour le midrash qui ne connait ni l’histoire ni la géographie, Jérusalem, Ninive ou Rome, c’est pareil: la grande ville (Urbs). Actes 27-28 est une reprise de l’histoire de Jonas. Jonas ne veut pas porter la parole aux païens, il ne veut pas que les païens se repentent et soient sauvés, il pense que ce sera la fin d’Israël. Mais Dieu pardonne à Ninive et même à Rome. Les Païens finiront par jeûner, se repentir et entrer. D’où la référence au jour de Kipur en Ac 27,9.

Le jour de Kipur, en fin de journée, après qu’ils aient demandé pardon à Dieu, les juifs se demandent si Dieu va leur pardonner leurs fautes (forcément immenses) alors ils lisent le livre de Jonas et y trouvent que Dieu pardonne même le comble et l’impardonnable.
Paul doit donc aller à Rome, car c’est la ville de l’asservissement tout autant que la Grèce. C’est pourquoi le signifiant maqedon est ici présent sous la forme d’Aristarque, le « macédonien ». Curieusement quand Jésus navigue, il va à Magadan (ou à Dalmanoutha, on n’est pas bien sûr).

Après avoir renvoyé les foules, Jésus monta dans la barque et s’en vint dans le territoire de Magadan (Mt 15,39)
et aussitôt, montant dans la barque avec ses disciples, il vint dans la région de Dalmanoutha.( Mc 8, 10)

Ici les Bibles ne nous parlent pas de minutieux journal de bord mais reconnaîssent qu’il s’agit de sites inconnus, encore un effort et vous verrez qu’un jour on finira par parler de midrash; Paul veut aller en Espagne (Rm 15, 24 et 28) c’est-à-dire à Tarsis comme Jonas, mais il ira à Rome-Ninive

Le modèle de Paul est incontestablement Jonas. Mais le livre des Maccabées n’est pas absent de la pensée du rédacteur. Dans ce livre il est clair que les Empires sont l’expression de la volonté divine et que Rome peut délivrer Juda du joug de la Grèce.

1M 8, 17-20. Ayant choisi Eupolème, fils de Jean, de la maison d’Akkôs, et Jason, fils d’Éléazar, Judas les envoya à Rome conclure avec les Romains amitié et alliance,. et obtenir d’être délivrés du joug, car ils voyaient que la royauté des Grecs réduisait Israël en servitude.. Ils arrivèrent à Rome au bout d’un très long voyage et, entrés au Sénat, ils prirent la parole en ces termes : Judas, dit Maccabée, et ses frères avec le peuple juif nous ont envoyés vers vous pour conclure avec vous un traité d’alliance et de paix et pour être inscrits au nombre de vos alliés et de vos amis.

• A bon port.

C’est le livre de Jonas qui explique bien evidemment le jeu de sonorités, mentionné plus haut, concernant le « bon port » inconnu de nos Atlas. En effet le seul port qui peut être dit beau est yafo, le port de Jonas, yafo qui en hébreu signifie beau ou bon. (Cette fois, si vous n’appréciez toujours pas l’humour du midrash, on ne peut plus rien pour vous). Paul explique à ses compagnons qu’il fallait l’écouter quand il les avertissait de ne pas quitter la Crète. Ce passage s’explique par le Midrash juif sur Jonas. Lorsque Jonas voulut fuir sa mission et s’embarquer à Yafo, Dieu, selon un midrash, fit revenir le bateau à Yafo (beau-port). Jonas comprit alors qu’il ne servait à rien de vouloir fuir sa mission. Comme maintenant Yafo-Beau-Port se trouve en Crète, Paul peut dire: Il fallait m’écouter, mes amis, et ne pas quitter la Crète; on se serait épargné ce péril et ce dommage. (Actes 27,21). Or depuis que vous avez adopté notre régime crétois vous savez que la Crète est le pays des Juifs. D’autres toponymes comme Salmoné ou Adramyttium ne s’expliquent que par le travail du midrash. Jonas étant lié à Tarsis et cette ville à Salomon et à la reine de Saba, elle le sera donc de l’Arabie.

 

• Paradoxe du signe de Jonas: un signe négatif.

Ainsi parle Yahvé, le Saint d’Israël, son créateur : On me demande des signes. Au sujet de mes enfants, de l’œuvre de mes mains, on me donne des ordres (Isaïe 45,11)

Vous vous demandez depuis toujours en quoi consiste exactement le signe de Jonas ? Pour le comprendre, il faut d’abord se demander pourquoi l’on demande des signes à Jésus (Mt 12, 39) ? Et ensuite pourquoi il répond que cette génération n’en aura pas. On demande des signes à Jésus pour accomplir Isaïe 45,11. Comme cela est écrit, il faut donc que les Juifs doutent et demandent des signes ou des miracles.
On me demande des signes: ‘al ha-otiot shealuni, littéralement: sur les signes, on m’interroge. Ce qui peut se lire: aussi sur les lettres (otiot) on m’interroge. Or Jésus, dans les Apocryphes, se voit interroger sur les lettres de l’alphabet. Ce qui prouve bien qu’il s’agit ici d’une élaboration midrashique. Le passage de Matthieu où on demande des signes à Jésus signifie donc ceci: Par leur conversion spontanée à la prédication de Jonas, les païens se sont montrés plus méritants que les Juifs qui demandent, eux, un “signe”. Les païens n’ont pas demandé de signe à Jonas. De même la Reine de Saba, considérée par le midrash juif comme une prosélyte. Elle se “lèvera”, au double sens de ressusciter et de témoigner (le verbe la’amod a ces deux sens). Notre passage ne manque pas d’humour: Jésus ne peut donner à cette génération le signe qu’elle demande, car il est Jonas (et même un peu plus) et que Jonas n’a pas donné de signe (aux païens). Cette génération aura donc le signe négatif de Jonas, le signe que les païens n’ont pas demandé. Le signe est Jonas lui-même. Et les païens l’ont entendu. Luc 11, 30 : Car, tout comme Jonas fut un signe pour les Ninivites, de même le Fils de l’homme en sera un pour cette génération. CQFD.

 

• Retour à bord.

Cette digression sur Jonas ne doit pas nous faire oublier notre analyse du journal de bord paulinien. Après les vents et les ports, nous allons aborder les noms de lieux. Les toponymes qui interviennent dans les Actes sont des noms de lieux bien réels, mais « revisités » par le midrash, par la technique du heqesh. On ausculte le nom et on cherche des sonorités connues: Ainsi la Sicile évoquera la seqila, la mise en croix. Syracuse rendra des sonorités proches de la chair (sarkosa). Cnide peut tout-à-fait être lu ke-nida comme une abomination. La Cilicie renverra à qiliqia et au verbe leqalqel (Jastrow 709) etc…

 

• Sidon

Une fois commencé son périple vers Rome, Paul ne pouvait éviter de commencer par Sidon, ville bien connue de Jésus

En sortant de là, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon

Paul doit se rendre à Sidon car il est Jonas, et que Sidon a quelque rapport avec Ninive, la Grande Ville. Comme elle, elle est appelée la Grande (Tsidon Rabba ). Jésus lui-même compare Sidon à Ninive, via le sac et la cendre, dans le verset suivant:

Malheur à toi, Chorazeïn! Malheur à toi, Bethsaïde! Car si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac et dans la cendre, elles se seraient repenties.

Paul est aussi Elie or Elie est envoyé à Sidon:

et ce n’est à aucune d’elles que fut envoyé Élie, mais bien à une veuve de Sarepta, au pays de Sidon.

 

• Chorazeïn.

Profitons de l’occasion pour tenter de résoudre une énigme qui dure depuis deux millénaires. Personne en effet ne sait que faire du nom de cette ville inconnue des Atlas, et jamais citée par aucun historien ni géographe. Nous apportons modestement notre contribution au débat et proposons qurtsin קורצין (Jastrow 1344). Ce terme signifie destruction.

• A Chypre.

A Chypre, nous trouvons dans le journal de bord de Paul cette notation digne d’un marin aguerri, observateur minutieux des régimes des vents:

Partis de là, nous longeâmes la côte de Chypre, parce que les vents étaient contraires.

Il se trouve que la racine kpr de Kupros (Chypre) est ambivalente: c’est celle de l’apostasie et aussi de la propitiation. Paul ferait peut-être ici de l’esprit sur le sens spirituel ambivalent de cette racine. (Je vous ai déjà parlé de l’humour du midrash ?)

• Myre

Myre n’intervient qu’une fois dans le NT et n’existe pas dans l’AT. Cette charmante petite ville est rendue par Lystra en Latin pour des raisons que vous n’avez pas à connaître. Dans le texte grec, Myre est « en Lycie » mais en latin elle est Lycie (quae est Lyciae). Circulez, il n’y a rien à voir. Ce nom Myre serait une création à partir de la racine sémitique de la révolte (qui est aussi celui de miriam). Si vous préférez Lystra, nous pouvons vous proposer aussi un nom gentil comme listerin (Jastrow 709) qui signifie repaire de brigands.

 

• Trois Tabernes

Le chiffre trois est omniprésent dans les Actes. Il est vrai qu’il était déjà insistant dans Jonas (Ninive « mesure » trois jours de marche, Jonas reste trois jours dans le poisson…). Mais que signifie Taberne en Actes 28,15? Ce terme semble avoir le sens de boutique, mais il serait ici surtout pour faire entendre le nom de Tibère. En effet la Passion est censée s’être déroulée sous Tibère. Or dans Jonas le roi de Ninive se retourne. L’empereur de Rome doit donc s’inverser aussi. Le nom complet de cet empereur est: Tiberius Iulius Caesar Augustus. Or deux de ces noms figurent dans les Actes.

Quand notre embarquement pour l’Italie (‘tl) eut été décidé, on remit Paul et quelques autres prisonniers à un centurion (qntrn) de la cohorte (qintinar) Augusta, nommé Julius. (Ac 27 1).

Il nous manquait donc Tibère et César. Tibère étant de la dynastie des julio-claudiens, ce serait la raison de la présence d’un julius et de l’île nommée Clauda. Au chapitre 10 des Actes, on retrouve à peu près le même verset, car nous sommes dans la même situation, à ceci près que c’est Pierre et non Paul qui découvre que la parole peut être portée désormais aux païens figurés par Corneille.

Il y avait à Césarée (qissaria) un homme du nom de Corneille (qornelios) centurion (qntron) de la cohorte (qintinar) niqrat Italique (‘tliqit)

On voit tout de suite que les deux versets sont à peu près identiques. Actes 27, 1 est une reprise de Actes 10,1. Les deux versets partagent les mêmes signifiants (Italie, et donc inversion et crucifixion par jeu de sonorité sur taluy, César, cohorte, Auguste). Notons que dans les Evangiles la ville de Tibériade intervient également trois fois.

Après cela, Jésus s’en alla de l’autre côté de la mer de Galilée ou de Tibériade. Jn 6,1

Cependant, de Tibériade des bateaux vinrent près du lieu où l’on avait mangé le pain. Jn 6,23

Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade. Il se manifesta ainsi. Jn 21,1