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Apologie de Paul

 Apologie de Paul

 En 1 Corinthiens, Paul cite Isaïe 29, 14. D’habitude, dans le midrash, on cite seulement le début d’un verset et le lecteur continue tout seul la suite du verset. Il devient ainsi co-producteur du sens. Ici le texte donne une partie du verset : Je détruirai la sagesse des sages, et le lecteur doit se souvenir de l’ensemble 

 Eh bien! voici que je vais continuer (yossif) à étonner (le-hapli) ce peuple par des prodiges et des merveilles (haple vapele) la sagesse des sages se perdra (abda) et l’intelligence (bina) des intelligents (navon) s’envolera (Is 29,14)

• A propos de la répétition.

Que nous dit ce verset ? Que Dieu va faire quelque chose deux fois. Quelque chose va se répéter: Dieu va étonner son peuple à nouveau. – Comment ? – Par des merveilles (haple vapele). Mais surtout par la répétition. Dieu ne fait jamais rien une seule fois. Il fait deux fois. Il a créé le monde, il le récréera; il a libéré son peuple, il le libérera à nouveau. C’est cela la bonne nouvelle, elle tient dans le deux fois, dans le yossif, l’attribut « joséphique » de la répétition. Dieu finalise, il assure le sof contenu dans yossef. Voyez la première mention de Joseph dans la Genèse:

Elle conçut et elle enfanta un fils; elle dit : Dieu a enlevé (asaf) ma honte ; et elle l’appela Joseph (yoseph) disant : Que Yahvé m’ajoute (yoseph) un autre fils (messie)

On a ici rien moins que l’origine des « deux messies ». C’est à cette répétition que rend grâce Elisabeth en Lc 1, 25 : Voilà donc, disait-elle, ce qu’a fait pour moi le Seigneur, au temps où il lui a plu d’enlever (asaf) mon opprobre parmi les hommes! Dieu a donc tenu parole, il a répété, il a tenu sa promesse, c’est le sens même du nom d’Elisabeth (eli sheba’). C’est ce schéma que reprend Isaïe, et il le souligne par la répétition du mot pele, qui a l’avantage de connoter le vœu (lepale neder) et donc la promesse inaliénable de Dieu lui-même. Dieu se lie (assir) par un vœu et donc Paul ne pourra pas faire moins que de se lier lui aussi.

 

• Paul et le Deutéronome (ou seconde loi).

Il existe dans le Deutéronome un verset curieux qui enjoint au fidèle de faire certaines choses le jour où il entrera dans la terre promise.

 Lorsque tu parviendras au pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, lorsque tu le posséderas et l’habiteras… (Dt 26,1)

Cette promesse de redonner aux juifs leur terre une seconde fois, vise en réalité la fin de l’exil. Il s’agit donc d’une donnée purement eschatologique. En principe, c’est le messie qui doit ramener les Juifs sur leur terre. Ce passage traite donc de la fin des temps.

Lorsque tu parviendras au pays que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, lorsque tu le posséderas et l’habiteras, Tu iras trouver le prêtre alors en charge, et tu lui diras : Je déclare aujourd’hui à Yahvé mon Dieu que je suis arrivé au pays que Yahvé avait juré à nos pères de nous donner. Dt 26,1-2

S’agit-il seulement d’offrir les prémices et de les apporter au Temple ? – Non, le fidèle devra aussi faire une déclaration devant le Prêtre de cette époque (bayamim hahem signifie midrashiquement : à la fin des temps). Il s’agit de reconnaître qu’on est bien arrivé et que la promesse s’est accomplie. Ces prémices seraient à mettre en rapport avec les fameux dons que Paul collecte. Il s’agit de convaincre chaque communauté qu’on est bien arrivé à la fin des temps.

Tu iras trouver le prêtre alors en charge, et tu lui diras : Je déclare aujourd’hui à Yahvé mon Dieu que je suis arrivé au pays que Yahvé avait juré à nos pères de nous donner.

Le Prêtre prend alors l’offrande et le fidèle doit continuer par cette déclaration qu’on retrouve d’ailleurs intégralement dans la Hagada de PessaH.

Tu prononceras ces paroles devant Yahvé ton Dieu : Mon père était un Araméen errant qui descendit en Égypte, et c’est en petit nombre qu’il y séjourna, avant d’y devenir une nation grande, puissante et nombreuse. Les Égyptiens nous maltraitèrent, nous brimèrent et nous imposèrent une dure servitude.Nous avons fait appel à Yahvé le Dieu de nos pères. Yahvé entendit notre voix, il vit notre misère, notre peine et notre oppression, et Yahvé nous fit sortir d’Égypte à main forte et à bras étendu, par une grande terreur, des signes et des prodiges.Il nous a conduits ici et nous a donné cette terre, terre qui ruisselle de lait et de miel. Voici que j’apporte maintenant les prémices des produits du sol que tu m’as donné, Yahvé. Tu les déposeras devant Yahvé ton Dieu et tu te prosterneras devant Yahvé ton Dieu.

 

• Qu’en est-il des lois sur la nourriture à la fin des temps ?

Revenons maintenant à la Lettre aux Corinthiens. Paul y pose toute une série de questions curieuses:

N’avons-nous pas le droit de manger et de boire? (1Co 9,4)

Vous le saviez, vous, qu’on avait interdit à Paul de manger et de boire ? Ela.…C’est donc que cette question n’est là que pour les besoins de l’argumentation. Tout se passe comme si Paul posait des questions pour montrer que le Deutéronome (la deuxième loi) y apporte déjà les réponses eschatologiques. Donc:

N’avons-nous pas le droit de manger et de boire? (1Co 9,4)

Réponse du Deutéronome : Lorsque Yahvé ton Dieu t’aura conduit au pays qu’il a juré à tes pères… tu mangera et tu sera rassasié (Dt 23,25). Ce passage a été lu comme signifiant qu’à l’époque messianique tout sera bon à manger.

 

• Qu’en sera-t-il des lois sur la sexualité à la fin des temps ?

N’avons-nous pas le droit d’emmener avec nous une épouse croyante,( litt. une sœur femme) comme les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas? (1Co 9,6)

Réponse du Deutéronome: Soit un homme qui a pris une femme et consommé son mariage; mais cette femme n’a pas trouvé grâce à ses yeux, et il a découvert une tare à lui imputer; il a donc rédigé pour elle un acte de répudiation et le lui a remis, puis il l’a renvoyée (shilHa) de chez lui (Dt 24, 1). Ce verset traite du droit de répudiation d’une épouse. Si notre hypothèse est exacte, pour que la réponse ait un sens, il faut que la question paulinienne ne porte pas sur une sœur mais sur une « autre » femme. En réalité il y aurait eu le mot aHeret אחרת mais le rédacteur a lu aHot אחות , il a donc traduit adelphen. Le sens de la question serait donc:

N’avons-nous pas le droit de prendre une autre femme, comme les autres sheliHim (Moïse), et les frères du Seigneur et Céphas (Aaron) ?

Mais si vous pensez que le verset parle du droit d’emmener sa sœur en promenade, c’est votre droit. Selon le midrash, Moïse, qui est le modèle même de la sheliHut prit une seconde femme et Aaron serait le descendant de la seconde femme d’Abraham (Qetura). Or Aaron est Céphas qui est Pierre. Dans les Evangiles, le frère du Seigneur c’est Jacob (plus connu sous le nom de Jacques) or Jacob a eu lui aussi deux femmes. Quant à Jude ou Juda (autre frère du Seigneur, historique cela va sans dire) vous vérifierez par vous-même. Comme la « seconde femme » est toujours une païenne, je vous laisse deviner le sens de notre passage (voir l’article : les yeux de Tamar). On se souvient que dans les Evangiles (Mt 22, 23) on est taraudé par la question de savoir ce que deviendra à la fin des temps la loi sur le remariage des veuves ou le lévirat par exemple. Une femme a eu sept maris, tous frères, lequel épousera-t-elle, hein? Curieusement, notre texte sur la répudiation est suivi de celui sur le lévirat dont on sait que lui aussi est susceptible d’être lu dans un sens eschatologique (ybm vaut 52)

 

• Shéélot et teshubot (questions et réponses)

Sans se soucier de savoir si nous arrivons à suivre son raisonnement, Paul continue tranquillement 

Ou bien, est-ce que moi seul et Barnabé, nous n’avons pas le droit de ne pas travailler?

Je ne sais pas si vous avez comme moi des difficultés avec les doubles négations, mais vous n’êtes pas sans ignorer que ce n’est pas le signe d’un texte facile. Ce travailler est dans la peshitta plH qui est le service du temple, or quelques versets plus loin il va être question de ceux qui palHin.

Ne savez-vous pas que les ministres du temple vivent du temple, que ceux qui servent ( peshitta :palHin) à l’autel partagent avec l’autel?

Les Bibles passent leur temps à nous expliquer que Paul travaille de ses blanches mains, mais ici le voici qui revendique le droit de rester inactif. Pour les Bibles, tout ce passage ne vise qu’à régler des problèmes du type : est-ce que les apôtres peuvent vivre aux frais de la princesse. Alimentaire, mon cher Barnabé. C’est la partie intendance du NT, ce qui prouve bien l’historicité de la chose. Que vient faire ici Barnabé ? Pour le comprendre, il faut faire l’hypothèse que dans notre midrash Paul se veut le Prêtre dont parle le Deutéronome, celui de la fin des temps. C’est pourquoi il lui faut des « dons » car les Lévites n’ont que cela pour vivre. Tous ses fils (ceux qu’il a convertis à sa doctrine) sont donc aussi des prêtres. Or figurez-vous que Barnabé est justement un prêtre :

Joseph, surnommé …Barnabé … lévite originaire de Chypre,

Un lévite (racine de l’association) qui vient de kpr (racine de la propitiation, kapara) et qui s’appelle justement Joseph, le « retour », l’ajout. Que vous faut-il de plus ? N’oublions pas que dans le midrash juif, les païens remplacent à la fin des temps les Prêtres dans le Temple.

 

• La défense Pauline.

Sans se soucier de savoir si nous comprenons l’enchaînement de ses idées, Paul continue :

Qui fait jamais campagne (yotse la milHama) à ses propres frais (hotsaotav racine de yotse)?

Tout se passe comme si Paul lisait le texte du Deutéronome de manière eschatologique et que ce texte lui donnait la réponse, après tout le Deutéronome c’est la « fin de la loi » (de la tora), non ? N’oublions pas ce que Paul est en train de faire ici, il présente sa « défense » face à des gens qui le jugent.

Ma défense (grec apologia) contre ceux qui m’accusent, la voici …

Je ne sais pas si vous arrivez à suivre cette ligne de défense: entre le droit de manger, de prendre une seconde femme, et maintenant de partir en guerre, …et tout cela s’adresse à des païens fraîchement convertis…

Le Deutéronome répond ici encore à Paul:

Si un homme vient de prendre femme, il n’ira pas (yetse) à l’armée et on ne viendra pas chez lui l’importuner, il restera un an chez lui, quitte de toute affaire, pour la joie de la femme qu’il a prise (Dt 24,5)

Sans aucun souci de cohérence, Paul continue:

Qui plante une vigne et n’en mange pas le fruit?

Paul ici cite le Deutéronome : Qui a planté une vigne et n’en a pas encore cueilli les premiers fruits? (Dt 20,6) Tout le monde comprend apparemment le lien entre la vigne et la campagne militaire, mais on n’a pas jugé utile de nous en informer, en revanche la lecture parallèle du Deutéronome explique bien l’apparent disparate de la « pensée » de Paul

Lorsque tu vendangeras ta vigne, tu n’iras rien y grappiller ensuite. Ce qui restera sera pour l’étranger (Dt 24, 21)

Il faut donc laisser un peu de jus de raisin pour le ger, le prosélyte. Voilà qui n’est pas facile à expliquer aux Juifs qui, on le sait bien, n’aiment pas trop partager, et surtout pas le raisin caché à leur intention depuis l’origine du monde. Paul ne se cache d’ailleurs pas de citer le Deutéronome.

N’y a-t-il là que propos humains? Ou bien la Loi ne le dit-elle pas aussi? C’est bien dans la Loi de Moïse …

Il cite par exemple Dt 25,4:

Il est écrit : tu ne muselleras le bœuf qui foule le grain (Dt 25,4)

Et il s’autorise même une lecture midrashique de ce verset, midrashique c’est-à-dire libre (ne suis-je pas libre ? )

Dieu se mettrait-il en peine des bœufs?

Autrement dit: tu parles que ce verset nous parle de bœufs! Mais non, il parle de nous et de la fin des temps, comme tout le Deutéronome.

N’est-ce pas évidemment pour nous qu’il parle? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit : celui qui laboure doit labourer dans l’espérance, et celui qui foule le grain, dans l’espérance d’en avoir sa part (1Co 9,10)

Labourer dans l’espérance c’est chercher le messie (tiqva= 52)

Autre question de Paul:

Qui fait paître un troupeau et ne se nourrit pas du lait du troupeau?

Il s’agit du lait de la promesse (la terre où coule le lait et le miel).

Toutefois les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui se trouve dans la ville, toutes ses dépouilles, tu les prendras comme butin. Tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que Yahvé ton Dieu t’aura livrés (Dt 20, 14)

Yahvé te fera surabonder (hoter) de biens : fruit de tes entrailles, fruit de ton bétail et fruit de ton sol, sur cette terre qu’il a juré à tes pères de te donner (Dt 28,4)

• En résumé.

Le Deutéronome est la répétition de la loi (deutero: deux fois) et la fin de la loi (sa partie finale) et la seconde loi. Tout cela en même temps. Dieu fait toute chose deux fois. La seconde fois c’est en principe à la fin des temps. La loi aura donc un sens nouveau et l’homme sera libéré de la Loi. La lettre aux Corinthiens s’adresse donc à des Juifs vraiment experts en midrash pour leur expliquer ceci: Tout est écrit, il suffit de lire le Deutéronome de manière midrashique.

• Rudiments de philosophie paulinienne.

Avant de soumettre Paul à une méditation philosophique il est donc prudent de vérifier le sens du texte et son contexte. Ainsi un verset comme 1Co 7, 30

ceux qui pleurent, comme s’il ne pleuraient pas; ceux qui sont dans la joie, comme s’ils n’étaient pas dans la joie; ceux qui achètent, comme s’ils ne possédaient pas…

traduit essentiellement l’indistinction propre à l’eschatologie et aux temps de la fin. Voici pourtant ce qu’on peut lire sur la revue en ligne Vacarme qui publie un entretien avec Giorgio Agamben sous le beau titre de « une biopolitique mineure ». Je vous le commente car c’est de la philosophie moderne, donc un peu difficile.

Je travaille en ce moment sur les lettres de Paul. Paul pose le problème : « Qu’est-ce que la vie messianique ? Qu’allons-nous faire maintenant que nous sommes dans le temps messianique ? Qu’allons-nous faire par rapport à l’État ? »

Normal, Paul est un philosophe, il s’intéresse donc forcément à l’Etat (comme Agamben, quoi)

Et là il y a ce double mouvement qui a toujours fait problème, qui me semble très intéressant. Paul dit en même temps : « Reste dans la condition sociale, juridique ou identitaire, dans laquelle tu te trouves. Tu es esclave ? Reste esclave. Tu es médecin ? Reste médecin. Tu es femme, tu es marié ? Reste dans la vocation dans laquelle tu as été appelé. » Mais en même temps, il dit : « Tu es esclave ? Ne t’en soucie pas, mais fais-en usage, profites-en. » C’est-à-dire qu’il n’est pas question que tu changes de statut juridique, ou que tu changes ta vie, mais fais-en usage. Il précise ensuite ce qu’il veut dire par cette image très belle : « comme si non », ou « comme non ». C’est-à-dire : « Tu pleures ? Comme si tu ne pleurais pas. Tu te réjouis ? Comme si tu ne te réjouissais pas. Es-tu marié ? Comme non-marié. As-tu acheté une chose ? Comme non-achetée, etc. » Il y a ce thème du « comme non ». Ce n’est même pas « comme si », c’est « comme non ». Littéralement, c’est : « Pleurant, comme non pleurant ; marié, comme non marié ; esclave, comme non esclave. »

Agamben pourrait ici s’arréter un instant et se dire: mais ce discours (A= non A) c’est justement l’indifférenciation eschatologique. Au lieu de cela il trouve cela « intéressant ».

C’est très intéressant, parce qu’on dirait qu’il appelle usages des conduites de vie qui, en même temps, ne se heurtent pas frontalement au pouvoir

Tu parles si Paul s’intéresse au pouvoir !

– reste dans ta condition juridique, dans ta vocation sociale –

Un psy dirait certainement : Intéressant pour un philosophe de gauche

mais les transforment complètement dans cette forme du « comme non ». Il me semble que la notion d’usage, en ce sens, est très intéressante :

Intéressant cette répétition

c’est une pratique dont on ne peut pas assigner le sujet. Tu restes esclave, mais, puisque tu en fais usage, sur le mode du comme non, tu n’es plus esclave.

Que celui qui a tout compris me jette le premier sms.