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Introduction au midrash paulinien

Introduction au midrash paulinien

On a célébré récemment l’année Paul. Cette année se situe à cheval sur 2008 et 2009 car Paul serait né en 8 ou 9. On ne sait pas très bien. Proposer notre modeste contribution à cet événement  alors que l’hypothèse midrashique nous conduit à postuler l’inexistence de l’intéressé est une situation … originale. Mais pas moyen de faire autrement. En dehors du Nouveau Testament en effet, pas de traces de Paul.

 • Pas de traces de Paul.

Paul manque cruellement de traces, c’est pourquoi d’ailleurs, on a cherché régulièrement à lui en fabriquer. Ainsi de sa fameuse correspondance avec Sénèque. Ou encore de la récente « découverte » de son tombeau. Non seulement Paul manque de traces, mais il est aussi insaisissable. Tel un savon, il nous glisse des mains à chaque fois que nous pensons avoir saisi un de ses attributs. Même des attributs essentiels à l’établissement d’une identité. Ainsi de son nom. Avec Saül, on croit tenir quelque chose. Et puis voila que même ce nom se métamorphose en Paul. Disparu Saül.

Parmi nos contributions, outre quelques articles de fond, nous organiserons une conférence sur Paul au printemps et nous publierons d’ici quelques semaines un ouvrage qui reprend, notamment, l’ensemble des articles parus ici sur Paul. L’ouvrage aura pour titre: Paul à Patras.

 

• Trace de judaïsme.

Le texte des Actes nous rapporte un discours de Paul dans lequel celui-ci se présente à haute voix:

Je suis Juif. Né à Tarse en Cilicie, j’ai cependant été élevé ici dans cette ville, et c’est aux pieds de Gamaliel que j’ai été formé à l’exacte observance de la Loi de nos pères, et j’étais rempli du zèle de Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui (Ac 22,3).

Paul parle en hébreu (hebraidi dialektô) et se présente en ish yéhudi (anêr Ioudaios). A peine pensons-nous détenir un élément stable, la Judéité de Paul, que le savon nous échappe à nouveau des mains. Nous avons déjà vu que cette expression ish yéhudi s’explique par le fait que Paul est midrashiquement apparenté à Mardochée. Mardochée et Saül sont en effet tous deux des fils de Qish. Ils sont tous deux des Benjaminites et des ish yéhudi. C’est pourquoi Paul et Mardochée font les mêmes choses, ils envoient des lettres qui annoncent le messie.

Curieusement, lors de la lecture de la megila d’Esther, au moment  où le lecteur public arrive précisément au verset ish yéhudi haya etc…(Est 2,5) l’assemblée lit ce verset à haute voix avant que le lecteur ne le lise à son tour.

• Tarse et Paul.

Pourquoi les Actes éprouvent-ils le besoin impérieux de nous informer du lieu de naissance de Paul ? Nous avons vu qu’à chaque fois que l’on nous donnait le lieu de naissance d’un personnage, comme c’est le cas pour Barnabé, c’était l’indice d’une élaboration midrashique. Il en est de même pour le métier. Si Tarse était une information historique banale et indiscutable, pourquoi Jérôme aurait-il été inventer que Paul est né à Giscala (gush Halav) en Gallilée. Ici Tarse est la résultante d’une condensation. Tarse renvoie phonétiquement à Tarshish, car Paul est Jonas. Paul est aussi un tarsi (טרסי) car ce terme désigne en hébreu tardif un tisserand et que Paul est supposé tisser des tentes.

 

• Traces d’un midrash gaulois.

Jérôme dans une lettre datée de 388 écrit ceci à une certaine Marcella:

Je lisais dernièrement les commentaires de Rhéticius, évêque d’Autun sur le Cantique des Cantiques, que les Hébreux appellent Sir hasirim; et j’y ai trouvé plusieurs passages insipides; mais, ce qui m’a étonné, a été de voir un homme de son caractère, et d’ailleurs éloquent, prendre le mot tarsis pour la ville de Tarse, patrie de l’apôtre saint Paul; et l’or d’ophax pour saint Pierre, parce que cet apôtre est appelé Cephas dans l’Evangile….Ne pouvait-il pas consulter quelqu’un qui sût l’hébreu, et lui demander l’explication de ce qu’il n’entendait pas? Non, il a eu assez mauvaise opinion des autres pour croire qu’il n’y aurait personne capable de découvrir ses erreurs.

Ainsi notre Gaulois lisait le Cantique des Cantiques de manière midrashique.

Ses mains sont des globes d’or, garnis de pierres de Tarsis. Son ventre est une masse d’ivoire, couverte de saphirs (Ct 5, 14)

Pour notre évêque Gaulois, lorsque l’Ecriture parle de Tarshish, il s’agit « bien entendu » de Tarse et non de la pierre précieuse du même nom. De même pour le verset suivant:

Ses jambes sont des colonnes d’albâtre, posées sur des bases d’or (paz) pur. Son aspect est celui du Liban, sans rival comme les cèdres.

Notre Gaulois faisait donc du midrash, du « al tiqra »; lorsqu’il lit ke-paz (comme de l’or) il lit Céphas, donc il lit « Pierre » qui est Céphas. Ce que nous apprenons ici surtout, c’est qu’en 388, Jérôme ne sait déjà plus ce qu’est le midrash, ce qui est un tout petit peu gênant quand on entend traduire la Bible.

 

• Gamliel.

Paul dit avoir été élevé (pepaideumenos, du verbe paideuô) aux pieds de Gamliel. La rétroversion de ce terme conduit à la racine hébraïque du musar, et celle-ci est proche, phonétiquement, de celle de la prédication, de la besora. Jérémie utilise souvent cette racine:

hivaseri…(הוסרי) corrige toi Jérusalem (Jr 6,8)
yisartani ve ivaser ….(יסרתני ואוסר) Tu m’as corrigé, j’ai subi la correction (Jr 31,18)

Les Psaumes utilisent aussi cette racine:

Lui qui reprend (yoser, grec paideuôn) les peuples ne punirait pas? Lui qui enseigne (melamed) à l’homme le savoir (Ps 94,10)

malmad, c’est l’aiguillon, objet paulinien s’il en est.

Enfin Isaïe 18,5 nous parle d’un moment où le « boser » devient « gomel ». Que signifie ici la présence de Gamliel en liaison avec la racine du musar, de la correction? La racine GML est celle de l’accomplissement (Is 63,7) mais aussi celle de la rétribution et de la vengeance. Dieu, en châtiant Israël, le grandit et le sauve. C’est pourquoi on nous montre Paul (le petit) « grandir » grâce à ce gemul, au pied bienveillant de cette divine correction. La Correction absolue annonce la venue messianique. On le voit par exemple dans ce verset des Psaumes.

Retourne, mon âme, à ton repos, car Yahvé t’a fait du bien (gamal) (Ps 11, 7)

L’idée que la correction annonce la venue messianique peut sembler curieuse, mais dans le midrash, c’est une idée courante. Le Midrash Rabba sur Esther (prologue 11) avance l’idée que chaque fois qu’un verset commence par l’expression banale « et ce fut… » (en hébreu : va-yehi) ce verset annonce des catastrophes. Et pour quelle raison ? Par jeu de mots: va-yehi est lu vay hi (malheur, il y eut). Autrement dit, chaque fois qu’un évènement historique pointe le bout de son nez, c’est une catastrophe pour Israël. Un certain Samuel bar NaHman va jusqu’au bout de cette philosophie de l’histoire. Il soutient que si un verset commence par ve-haya (qui peut se lire : il y eut, mais aussi s’inverser en un futur: il y aura) c’est qu’il annonce un heureux évènement. On lui objecte alors de nombreux versets qui commencent par ve-haya et qui ne semblent pas annoncer quoi que ce soit de joyeux, comme celui-ci: et voici qu’advint (vehaya), quand Jérusalem fut prise (Jr 38, 28). Voyez ce qu’il répond : ce verset n’annonce pas une circonstance de lamentation, mais de joie, car en ce jour un consolateur est né, et Israël a reçu un châtiment pour ses iniquités. Car ainsi a dit R. Samuel : Israël a obtenu une expiation complète pour ses péchés le jour où le Temple a été détruit, comme il est dit: Ta faute est expiée, fille de Sion (Lm 4, 22).

 

• Traces d’André à Patras (et dans le drapeau anglais).

On n’a toujours pas la moindre trace de Paul, mais on a retrouvé la trace d’André. Et ceci dans un lieu inattendu: le drapeau anglais. Quel est le rapport entre André et le drapeau anglais ? André est un modeste pêcheur qui vit sur les bords du lac de Tibériade. Un jour il est convié par Jésus à le suivre. Il convainc son frère Simon (Pierre) de rejoindre également le messie. Après l’ascension du Christ, l’Esprit Saint demande aux apôtres d’enseigner l’Évangile à toutes les nations. C’est ainsi qu’André va évangéliser la Grèce. Il va devenir le saint patron de la Russie et aussi de l’Écosse. La croix de Saint-André se retrouve sur le drapeau de l’Écosse, puis sur l’Union Jack, qui symbolise depuis le XVIIe siècle l’union de l’Angleterre et de l’Écosse. Dans un apocryphe, Les Gestes du bienheureux apôtre André l’auteur, après plusieurs aventures, fait crucifier André à Patras.

 

• Eût-il existé.

Supposons, c’est une hypothèse d’école, que par miracle, une preuve historique irréfutable de l’historicité de Paul surgisse soudain dans le champ de la science. Je ne sais pas ce que cela pourrait être, une lettre d’un contemporain opportunément retrouvée au fin fond de la Vaticane ou quelque chose dans ce genre. Nous serions alors bien obligés d’accepter l’historicité de Paul. Très bien. Et ensuite ? Eh bien, il ne se passerait absolument rien. Paul aurait existé, mais nous ne saurions toujours rien de lui. En quoi cette existence historique nous permettrait-elle d’expliquer les textes que nous avons sous les yeux ? En rien. En quoi cette existence fantomatique nous permettrait-elle de mieux comprendre les apocryphes pauliniens ? En rien. En quoi le fait qu’un Paul ait existé nous permettrait-elle de comprendre la séparation entre Judaïsme et Christianisme? En rien. L’existence historique de Paul ne nous sert à rien, elle est donc méthodologiquement inutile.

 

• Traces de particules pauliniennes après collision.

Les Evangiles font advenir le messie et lui donnent un nom. Ces textes ne théorisent pas l’entrée des païens, mais ils la figurent par la guérison des estropiés et autres idolâtres. Les Evangiles ne théorisent pas non plus la gratuité du Salut et la justification. Le corpus Paulinien, en revanche , semble théoriser là où les Evangiles ne font que figurer. Paul ferait de la Théologie. En réalité les deux élaborations, les Evangiles et le Corpus paulinien reprennent le même canevas. Mais les particularités du Corpus paulinien permettent de mieux saisir l’origine de son élaboration.

Le midrash juif (par exemple le Midrash Rabba sur les Lamentations) connaît l’idée d’une situation désespérée au sein du peuple juif. Le comble est proche. Ce comble ce sont les tsarot. L’insistance avec lequel le texte Paulinien se réfère au Deutéronome permet d’avancer une hypothèse: Devant les tribulations de l’exil, de la persécution romaine, des déportations, une partie du peuple juif a pensé que ce qu’il vivait était la réalisation de la malédiction énoncée par la tora : celle que le Deutéronome promet aux Juifs s’ils n’accomplissent pas tous les commandements de Dieu. Imperceptiblement, il est possible de glisser de cette idée à une autre idée: c’est la tora qui nous condamne à ce châtiment interminable. Nous ne sommes plus condamnés à cause de la tora (du manquement à la Loi) mais par la Tora en tant que Loi inflexible. Cette situation d’une punition qui n’en finit pas malgré tous les repentirs, ne peut aboutir qu’à quelques scénarios assez prévisibles: Tout d’abord le scénario antinomique, autrement dit la révolte contre ce Dieu qui apparait désormais injuste. Ensuite le scénario rabbinique. Face au comble, il est celui du retour à la loi et au repentir, c’est le modèle du livre d’Esther: le jeûne et la prière feront cesser la persécution et ce miracle est la figure du messie attendu. Enfin le scénario messianique : le comble ayant été atteint, cette souffrance annonce la venue imminente du messie. Et, s’il le faut, on hâtera la fin en faisant advenir le messie par midrash. Comme le montre l’histoire, il n’y a que deux issues aux mouvements messianistes. Soit le courant messianique reste faible et il se résorbe dans la tradition majoritaire. Soit il atteint une « masse critique » et il fait exploser les cadres du Judaïsme. Le courant traditionnel ne peut alors que se séparer de ce courant comme l’a montré l’épisode Sabattaïste. Le Judaïsme actuel est le résultat de la réaction rabbinique à l’explosion messianiste née en son sein. (Je rappelle que chrétien signifie messianiste, mais je crains qu’il faille le rappeler jusqu’à la fin des temps).

Mais revenons à la montée en puissance de ce messianisme au sein du judaïsme avant qu’il en soit exclu. La difficulté de se représenter ce courant consiste en ce qu’il se présente toujours par construction comme le véritable judaïsme. Il va simplement jusqu’au bout d’une logique qui dans le rabbinisme reste une virtualité. De même qu’il est délicat de déterminer le moment précis où le Sabbataïsme a divergé du Judaïsme, il est impossible de déterminer un moment assignable où l’on pourrait dire: jusque-là ils étaient juifs, maintenant c’est autre chose. D’autant que le messianisme chrétien manque de substrat historique. La rupture serait venue du rabbinisme, lorsque celui-ci refusa que l’eschatologie puisse jamais être réalisée. Le scénario rabbinique consiste à renforcer la loi: c’est la fidélité à la loi qui fera advenir le Salut.

Le messianisme chrétien aboutit, lui, à la fin de la Loi par un autre cheminement: Nous sommes actuellement punis. La Loi nous avait certes avertis : Tu seras dans l’effroi jour et nuit, Sans pouvoir croire en ta vie (Dt 28, 66) et donc la loi reste véridique. La loi s’applique donc dans toute sa rigueur. Mais comme cette punition s’éternise, cela signifie que seule la venue du messie peut maintenant nous sauver. La loi, elle, semble ne plus pouvoir le faire. Etant au comble du châtiment nous sommes aux portes du Salut. Ce dernier a peut-être même commencé. Mais ce « peut-être » va tendre à devenir un « certainement » pour la raison suivante. Comme le messie devait, selon le midrash, alléger la loi, voire la supprimer, il vaut mieux qu’il soit déjà en route, car du coup nous sommes libérés de la malédiction de la Tora, cause de notre châtiment. Le raisonnement messianiste trouve dans la venue du messie la seule solution au problème « actuel » de l’exil et du châtiment qui n’en finit pas. Il semble paraphraser Marx: Plutôt une fin effroyable qu’un effroi sans fin.

Totalement inscrite dans l’eschatologie juive, la démarche messianiste ne vient pas d’un ailleurs du Judaïsme, elle n’est pas le résultat d’une influence extérieure, elle prend appui sur la tradition juive pour la faire exploser de l’intérieur. Le Judaïsme, parce qu’il est porteur du logiciel eschatologique, porte donc en lui l’explosion messianiste (Chrétienne, Sabbataïste, Islamique) comme la nuée porte l’orage.