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Jeux de mots à Malte

Jeux de mots à Malte

Récemment, en consultant une traduction anglaise d’un texte midrashique, j’ai observé qu’après l’index, le sommaire, bref tout l’appareil critique habituel, l’ouvrage fournissait un outil qu’on n’a pas coutume de trouver: un index des jeux de mots contenus dans le texte hébraïque. Et cet index n’était pas mince: environ 300 entrées pour un texte de 400 pages, ce qui est beaucoup. 

 En y réfléchissant, je pense que l’on devrait prendre l’habitude d’insérer ce genre d’index dans toutes les éditions françaises du midrash et des Evangiles.

• Des jeux de mots en général.

eis nêson de tina dei hêmas ekpesein 
je dois tomber sur une île (hébreu: epol ‘al nes)
(Ac 27,26)

Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous parle d’un index des jeux de mots à propos d’un tableau relatif à un miracle de Paul ? – Tout simplement parce que le chapitre 28 des Actes qui relate ce miracle commence par un jeu de mots sur Malte. Quand vous l’aurez trouvé, en vous aidant éventuellement du dictionnaire midrashique de ce site, vous pourrez mieux comprendre la suite de cet article.

• Miracle dans l’île, miracle dans le miracle. Des jeux de mots maltais en particulier.

Les Barbares de Malte, contrairement aux Indiens d’Amérique auxquels ce tableau fait inmanquablement penser, sont animés, au grand étonnement de Paul, de sentiments très humains. Ce ne sont pas du tout des animaux comme on pourrait le penser. Ils aident les naufragés à se chauffer près du feu et leur témoignent beaucoup d’égards. C’est ce qu’on appelle un heureux hasard. Le contexte général des Actes est celui du refus des Juifs et du bon accueil des païens à la prédication chrétienne, mais c’est pourtant un pur hasard. Paul a échoué (surtout avec les Juifs) et les « barbares » sont accueillants. Ce sont des choses qui arrivent.

• Echec à Malte.

Négligemment, Paul ravive un peu le feu en y jetant quelques brindilles. Une vipère ranimée par la chaleur mord la main de Paul, mais cela ne lui fait rien: même pas mal. Il y aurait beaucoup à dire sur cette chaleur (Hema, la colère) qui ranime ce serpent, mais ce serait un peu long. Ce qui nous retiendra ici, c’est la manière dont le texte nous rapporte la réaction des païens à cet événement « historique ».
Ils s’attendaient à le voir enfler ou tomber raide mort. Après avoir attendu longtemps, voyant qu’il ne lui arrivait rien d’anormal, ils changèrent d’avis et se mirent à dire que c’était un dieu.

Nos païens, curieusement, sont aussi ici des amateurs de jeux de mots. Ils s’attendent à ce que Paul agisse comme il le fait habituellement dans le Nouveau Testament où il ne cesse de tomber et d’agir en fonction de son nom: shaoul. Paul, en tant que Juif, est ainsi sujet à l’enflure, (voir sur ce site l’article du gonflement et de l’enflure) et donc on s’attend à ce qu’il enfle, et en tant que shéol (la mort) on s’attend à ce qu’il expire sur le champ. Nos païens maltais sont donc des amateurs de jeux de mots (un mot c’est, en hébreu, mila, et en araméen milta, autre détermination de Malte).

• mlh, mltʾ (milā, miltā) : word

Mais les rédacteurs des Actes ne le sont pas moins. Malte est une île dont le nom en hébreu (mlt) signifie Salut, si de plus on l’écrit מלתה elle prend la valence messianique (52). Or le terme nes (נס ) signifie à la fois île (Jastrow p. 915, sans doute par emprunt au grec nesôs), étendard (ou enseigne, signe), et miracle. D’une certaine façon, nes est indissociable de pele (נס ופלא). De plus la même racine nes est celle de l’épreuve et de la fuite. Par exemple la fuite du meurtrier dans les villes de refuge (va-nas rotseaH…Nb 35, 11). C’est pourquoi nos païens trouvent, par jeu de mots, que Paul est un assassin en fuite (Ac 28,4). De même, un Tribun (kiliarkos) pense deviner que Paul est aussi un bandit en fuite : Tu n’es donc pas l’Égyptien qui, ces temps derniers, a soulevé quatre bandits et les a entraînés au désert ? (Ac 21, 38).

Sur le « mot qui sauve » (la mila qui malte, en quelque sorte)
voir aussi Mt 8,8: dis seulement un mot et mon fils sera guéri

Le rédacteur cherche visiblement à rendre ici l’expression hébraïque nes betokh nes (miracle sur miracle, ou miracle dans le miracle, expression courante dans le midrash Cf. Exode Rabba 12,4). Il cherche donc un miracle dans lequel il est question d’une île. Où, dans la Bible, est-il question d’un miracle et de la présence d’une île? Réponse: dans le récit relatif au serpent d’airain.

Moïse façonna donc un serpent d’airain qu’il plaça sur l’étendard ( על-הנס ) (‘al ha nes: « sur l’étendard », « par miracle » ou « sur une île » ) et si un homme était mordu par quelque serpent, il regardait le serpent …et restait en vie (Nb 21,9)

Il est vrai qu’accessoirement, et au passage, cet épisode accomplit Mc 16,18 : Ils saisiront des serpents... ou Lc 10,19. Mais ça, c’est le tout-venant. Sans accomplissement, il n’y aurait même pas de midrash chrétien. Dans le Targum de Jonas (un autre récalcitrant et lui-aussi grand spécialiste des tempêtes) nous apprenons en 1,4 que naHshol נַחשוֹל est un vent violent qui provoque de grandes tempêtes. Sentez comme ce terme sonne bien avec naHash נַחש le serpent, mais surtout, par anagramme, avec tout ce qui caractérise Paul (Halash, faible, shaliaH, apôtre, envoyé, etc.). Et, cerise sur le gâteau, naHshol signifie aussi esprit, d’où le fait que les païens prennent Paul pour un Dieu. Peut-on encore étudier Paul sans un dictionnaire Jastrow sous le bras ? Je vous pose la question.

Il ne nous manque plus que l’étendard (ou une enseigne), pour que nous ayons parcouru toute la palette des jeux de mots autour du terme nes.
Genèse Rabba 55,1 commente Gn 22, 1: Après ces événements, il arriva que Dieu éprouva Abraham. Il est dit : Tu as accordé à ceux qui te craignent une enseigne (nes) à brandir (le-hitnoses) pour la vérité (Ps 60,6). Epreuve (nisayon) sur épreuve, élévation sur élévation pour éprouver en ce monde [ceux qui te craignent],et les brandir dans le monde comme l’enseigne d’un navire.

Nous retrouvons cette enseigne un peu plus loin en Ac 28, 11

c’était un bateau alexandrin, à l’enseigne des Dioscures.

La peshitta a le syriaque ot téhomim, le signe (ou le miracle) des abîmes, des profondeurs. Comme téomim (sans ) signifie aussi jumeaux, le traducteur vers le grec a aussitôt pensé aux Dioscures (et la Vulgate a aussitôt enchaîné sur Castor et Pollux, puisqu’on vous dit que Paul est un philosophe grec !). Le frêle vase qu’est Paul a survécu miraculeusement aux abysses. Comme Jonas. Paul devait affronter les abîmes: Il m’est arrivé de passer un jour et une nuit dans l’abîme ! (2Co 11, 25). Tout comme il devait être confronté à Appolôs (hébreu: abadon) car il est leur jumeau en tant que shaul/sheol. En hébreu, shéol et abadon vont toujours de pair. Des Dioscures en quelque sorte. Noter à nouveau la présence d’Alexandrie dès qu’il est question d’un mât ou d’un poteau en bois.

• Suite maltaise.

Dans l’article Bonnes nouvelles des parents nous notions que les toponymes pauliniens avaient tous un sens midrashique. Nous venons de le voir pour Malte. Mais avant d’arriver à Malte, Paul croise l’île de Cauda (27,16). Or ce terme n’a rien qui puisse évoquer quoi que ce soit de midrashique, ni un rapport quelconque avec le moindre païen. Je ne sais par quel mystère épigraphique, les bibles Darby et Segond ne lisent pas Cauda, mais Clauda. Comme les païens claudiquent (faute de disposer de la halakha, de la Loi, qui leur permettrait de marcher droit) nous retombons sur nos pieds, si vous me passez ce mauvais jeu de mots maltais.

Depuis Jonas, une certaine catégorie de personnel naviguant a aussi pris l’habitude, en cas de tempête, de jeter la cargaison à la mer.
Les matelots prirent peur… et pour s’alléger, jetèrent à la mer la cargaison. (Jon 1, 5)
Cette cargaison, dans le texte hébreu, ce sont des kelim, or figurez-vous que Paul est un keli, un vase (c’est même un vase d’élection, keli yaqar, ce pourquoi il est mis en présence de tas de kiliarkos. Paul est rejeté en mer, tout comme Jonas, pour des raisons elles-aussi midrashiques. Pour que cela soit bien compris, la chose est repétée trois fois, (comme sa « chute sur le chemin de Damas »)

comme nous étions furieusement battus de la tempête, on se mit à délester le navire (27, 18)
le troisième jour, de leurs propres mains, les matelots jetèrent les agrès (kelim) à la mer. (Ac 27, 19)
Une fois rassasiés, on se mit à alléger le navire en jetant le blé à la mer (Ac 27, 38)

Jonas et Paul sont rejetés à la mer (= renvoyés en mission vers les païens) pour que la colère s’arrête et que toute la terre ne soit pas anéantie (lo noved, racine de abadon). En effet, la tempête et la colère divine se déclenchent lorsqu’Israël ne joue plus son rôle de porteur de la parole divine (lorsque Jonas fuit sa mission en fuyant vers Tarsis, qu’il récalcitre). Voilà pourquoi Paul de Tars-is deviendra missionnaire après avoir résisté à sa mission.

Notez que nos matelots sont des païens pieux puisqu’en Jonas 1, 16 ils offrent des sacrifices, tout comme Noé après le déluge, sacrifices que nous retrouvons donc tout naturellement en Actes 14, 13. Les prêtres … se disposaient, de concert avec la foule, à offrir un sacrifice. (Actes 14, 11)
On vérifie ici que le livre de Jonas est un véritable cahier des charges pour certains passages des Actes, puisque ce qui pousse nos païens à accomplir ces sacrifices c’est qu’ils s’avisent que Paul porte de nouveau la Parole.
Ils appelaient Barnabé Zeus et Paul Hermès, puisque c’était lui qui portait la parole (Actes 14, 12)
Verset qui renvoie évidemment à Ac 9, 15
Va, car cet homme (Paul) m’est un instrument de choix (keli yaqar) pour porter mon nom …

• L’humour du midrash.

Nous avons vu qu’en Actes 21, 38 un soi-disant Tribun demande à Paul s’il n’est pas, par hasard, celui qui est accusé d’avoir entraîné une bande de vauriens dans le désert. Les Notes de la Bible de Jérusalem croient savoir qu’il s’agit d’un événement historique relaté par Flavius Josèphe. Je propose de voir dans ce passage un exemple de l’humour midrashique. Le soi-disant Tribun (kiliarkos, « centurion ») ne serait autre que David lui-même. En effet, Saül, pour se débarrasser de David le nomme d’abord chef de mille (kiliarkos).

Alors Saül l’écarta d’auprès de lui et l’institua chef de mille (LXX: kiliarkos) (1S 18, 13)

Mais Saül ne peut s’empêcher de poursuivre David.

Saül descendit au désert de Ziph, accompagné de trois mille hommes, l’élite d’Israël, pour traquer David …(1S 26 ,2)

Ce verset du premier livre de Samuel devient chez notre Tribun ce soupçon: Tu n’es donc pas l’Égyptien qui, ces temps derniers, a soulevé quatre bandits et les a entraînés au désert ? (Ac 21, 38). David se plaint midrashiquement auprès de Saül de ce qu’il ne cesse de le poursuivre, et narrativement, cela donne notre passage du Tribun qui soupçonne Paul. La peshitta parle d’ailleurs de 4000 hommes et non de quatre bandits. Cette réutilisation n’explique pas pour autant pourquoi Paul est qualifié d’Egyptien. Or, il est impératif que chaque terme soit expliqué de manière cohérente. Nous laissons ouverte cette énigme midrashique, certain que le lecteur aura à cœur de la résoudre.

 

• La main de Paul.

La vipère de Malte s’attaque à la main de Paul. Pas à son talon ou à sa jambe. C’est que la main de Paul n’est pas un organe comme les autres. Paul intervient beaucoup par sa ou ses mains. C’est par exemple le seul personnage à signer de sa main.

La salutation est de ma main, à moi, Paul (1Co 16, 21)
Voici le salut de ma main, à moi, Paul (Col 4, 18) etc…

Curieusement, Pierre, Jacques ou Jean qui écrivent aussi des lettres, ne pensent jamais à signer de leur main. Seul Paul y pense. La main de Paul est donc l’objet d’une élaboration. D’où la fréquence du terme.

On le conduisit par la main pour le faire entrer à Damas. (Ac 9,8)
Paul alors se leva, fit signe de la main et dit (Ac 13, 16)
Paul, debout sur les degrés, fit de la main signe au peuple (Ac 21, 40)
Alors, étendant la main, Paul présenta sa défense (apologia)(26, 1) etc.

Il y a plusieurs raisons à cela: c’est que Paul est Saül or la main de Saül est redoutable. C’est pourquoi Dieu doit sauver David de la main de Saül מיד שאול . Ou du pouvoir du sheol (à vous de voir). Ou du pouvoir de l’idolâtrie (c’est vous qui voyez).

Je t’ai oint comme roi d’Israël, je t’ai délivré de la main de Saül (2S 12,7)

Le pouvoir du sheol, de la mort (ou de l’idolâtrie, au choix) est en train de s’inverser. D’où, dans les apocryphes, le descensus ad infernum, la descente aux enfers de Jésus pour délivrer les prisonniers du sheol. Il est absolument essentiel de comprendre que cette descente au sheol (apocryphe) du messie est le même événement (midrashique) que son apparition (canonique) à shaul sur le chemin de Damas. C’est LE test absolu. Si vous saisissez l’identité de ces deux récits qui n’ont pourtant rien de commun, alors vous avez vraiment compris comment fonctionne le midrash. Le grec epiballô (mettre la main) traduit le verbe npl (tomber, Cf. Gn 2, 21) mais surtout ShLH (envoyer Cf. Gn 22, 12). Or Paul est un shaliaH, un envoyé, un apôtre. C’est pourquoi on met la main sur lui à plusieurs reprises:

ils mirent la main sur les apôtres et les jetèrent dans la prison publique. (Ac 5, 18)

Mais mettre la main, shliHut Yad c’est aussi en hébreu l’abus, l’appropriation indue d’un dépôt. Cette élaboration expliquerait quelques passages difficiles:

« Je n’ai convoité l’argent ni l’or, ni le vêtement de personne » (Ac 20, 33)
« je me suis gardé d’être une charge pour vous », « je ne vous encombrerai pas de ma personne », « vous ai-je exploité ? (2Co 11, 9 )  » etc.

On ne comprend pas bien pourquoi, dans les Actes, et ailleurs dans le corpus, Paul semble se justifier, s’excuser, comme s’il cherchait à se disculper. Vous pouvez relire l’ensemble du corpus paulinien, vous n’y trouverez nulle part l’accusation dont ce discours serait la contrepartie (par exemple quelqu’un qui aurait accusé Paul de s’être enfui en emportant l’argenterie). Ce discours évoque ce passage de 1 Samuel 12, 3 :

De qui ai-je pris le bœuf ? de qui ai-je pris l’âne ? Qui ai-je pressuré… de la main de qui ai-je pris une rançon ?

Samuel va se retirer du pontificat, il prend les Hébreux à témoin de sa probité par opposition aux fils d’Héli qui, eux, pressuraient le peuple. Le discours de Samuel est justifié, celui de Paul n’a pas grand sens. Personne n’accuse Paul de spoliation, c’est donc qu’il est question ici d’autre chose, la question ici, est de savoir si Paul trahit ou non sa foi juive en prêchant le Christ. Usage abusif d’un dépôt, abus de confiance, détournement, tels sont en effet les sens de shliHut yad.

 

• Paul l’Egyptien

Nous partons ici du principe, maintes fois vérifié, que seul le midrash prend véritablement le texte de référence au sérieux. Ici par exemple, si nous prenons le texte au sérieux, il faut se demander pourquoi en Ac 21, 38 Paul est identifié à un Egyptien. Il faudrait alors, que par rétroversion du grec vers l’hébreu, on puisse trouver quelque part dans les textes une séquence où Paul (ou Saül) voisine avec le terme mitsri (égyptien). Eh bien, c’est le cas. Paul est en effet sans cesse confronté à des thlipseis, des tribulations (thlipseis traduit l’hébreu tsarot)

« …les tribulations que j’endure… » Ep 3, 13
« …c’est dans une (la) grande tribulation… que je vous écris… » 2Co 2, 4
« …nous nous glorifions encore des tribulations… » Rm 5, 3 ; etc.

C’est que, dans le pré-texte des Actes, le Saül biblique est lui-même très lié à la tsara, aux tsarot. Ainsi en 1S 28,15 Saül dit: tsar li meod. Mais en Ps 116,3 on trouve carrément l’expression metsarey sheol, les filets du sheol (מצרי שאול dans laquelle metsarey peut être lu mitsri)

Dans le verset suivant Ps 116, 4 :De grâce, Yahvé, délivre mon âme!
ana adonaï malta nafshi, nous revenons à Malte.

Le midrash relie donc clairement l’Egypte (mitsrayim) aux tsarot.

De mon angoisse, min ha metsar, j’ai crié vers Yahvé…(Ps 118, 5)

Voilà comment Saül est lié au metsar et comment Paul deviendra égyptien. Ce qui, accessoirement, a l’avantage d’expliquer l’ahurissante fréquence des termes pauliniens liés à l’esclavage, à la servitude et aux liens: Paul est esclave, lié, prisonnier, (assur)…
Bien entendu, vous êtes sceptique, vous trouvez cela « tiré par les cheveux » et cela est tout à fait normal. Un midrash chrétien qui utiliserait des jeux de mots pour créer du narratif, c’est à peine pensable ! Si cela peut vous consoler, dites-vous cependant que le midrash juif, va lui, encore plus loin dans l’invraisemblance: tenez-vous bien, il fait de Saül, roi d’Israël, non seulement un égyptien, mais même un égyptien méridional: un éthiopien. En effet en Moed Qatan 16b, Erubin 53a et Gittin 59a, il est affirmé que Saül est un éthiopien. Et pourquoi cela ? Parce qu’il est le fils de Qish et qu’il est donc un Qushi, un éthiopien, par jeu de mots. Eh oui ! ainsi fonctionne le midrash, il fabrique du narratif, notamment par jeux de mots. Alors, soit on fait comme les savants du XIXe siècle qui décidèrent que ce genre littéraire devait être banni du Judaïsme, soit on assume. Ici, nous assumons. Il faut donc en tirer toutes les conséquences, ce qui va jusqu’à une relecture presque acoustique des Actes.
Prenons par exemple le verset Actes 21, 39 qui fait prétendument état de la citoyenneté romaine de Paul. Le son polos y figure trois fois: Paulos…poleôs politês...Cette discussion sur la citoyenneté de Paul proviendrait d’un jeu de sons sur Polos et polis (la cité). En effet l’hébreu tardif est truffé de termes qui ont intégré la racine du grec polis. Voir le dictionnaire Jastrow à פוליס
Autre exemple: On sait que Paul a un métier manuel: il est fabricant de tentes. Seulement voilà: on trouve dans le Midrash Rabba sur la Genèse (GnR 66,5) cette phrase: La tente de notre père ( פוליונו של אבינו ) Isaac avait deux entrées. Le terme pour tente dans l’hébreu tardif de notre midrash est pollion. Quant au Syriaque il a pour tente, le terme pāpelyōnā (pplywn). La situation professionnelle de Paul était sans doute encore une élaboration sur un jeu de sonorités. C’est donc l’ensemble du corpus qui devient suspect. Autre exemple: En Actes 7,58 Paul est un neanias, un jeune homme, (פלגס adolescent) mais dans Philémon, nous lisons : Celui qui va parler, c’est Paul, le vieux Paul (Philémon 1,9, je passe sur Philémon) Or « vieux » peut se dire peli פליא. Cette assonance « vieux-paul » peli/polos n’est pas due au hasard puisqu’on vient de la voir à l’œuvre avec celle de polos/polis, elle devient même, elle aussi, productive : pilpel c’est le poivre ou le piment, y compris au sens métaphorique, comme dans l’expression: pimenter la controverse. pilpul c’est la controverse, l’art de l’argumentation. Or Paul argumente beaucoup, ce qui expliquerait peut-être son escapade à Athènes chez les philosophes. Tenez, encore un terme de la série à base de sonorités PL-פל.
Autre exemple: en Actes 9,24 : on gardait même les portes de la ville: L’hébreu donnerait: shamru sha’are ha’ir, le grec garde l’allitération: pulas polin
Il faut donc relire l’ensemble du corpus et suspecter chaque terme insistant: Paul voyage en haute-mer ? Se demander si, en plus de la saga de Jonas, il n’y a pas là une élaboration confortée par le terme de l’hébreu tardif pelagos ? פלגוס
Le thème de la « main de Paul » est insistant: n’y a-t-il pas, au delà de la main de Saül, un jeu de sons sur le terme hébreu poli l’avant bras ? פולי. La prison est omniprésente dans le récit paulinien, or le Syriaque a pylqy ou pwl’qy pour prison. Nous serions devant un texte qui opère un peu à la manière du texte d’Hermas. Nous avons vu que ce texte était largement engendré par la racine verbale bn-בן. Le corpus paulinien, comme tout midrash, n’a pas résisté au plaisir de jouer sur les sonorités du nom de Paul ne serait-ce que pour obtenir la surdétermination indispensable au genre midrashique. On l’a vu avec l’élaboration qui tourne autour de la chute npl – נפל. On pourrait tout aussi bien retrouver ce type d’élaboration autour de la séquence פלל qui est celle de la prière (le-hitpalel, n’oublions pas que Paul prie sans cesse) mais aussi celle du jugement, procès (pelila, Jastrow p.1182, or Paul passe sa vie à attendre son procès). Bien entendu, certains soutiendront que tout cela n’est qu’une série de hasards. Mais les tenants de cette position devront bientôt expliquer un nombre considérable de hasards !

 

• Pauliphonie et Philologie.

Bien des villes du périple paulinien rendent une sonorité familière. En Actes 16, 11 Paul arrive à Néapolis, au verset suivant il est à Philippes. Le chapitre 17 des Actes s’ouvre sur la traversée d’Amphipolis et d’Appolonie. En Col 4, 13 il est question de Hiérapolis. On a l’impression qu’il s’agit de trouver le maximum de noms de lieux contenant les sons p et l. C’est une sorte de pan-plisme. Ou de Pamphylie…région que Paul traverse justement. Un des compagnons de Paul se nomme Philologue (Rm 16, 15). Cela ne s’invente pas. Amour du Verbe et amour des (jeux de) mots vont de pair. Notez qu’en hébreu il n’y a pas de différence entre p et f, c’est la même lettre פ . Les noms de personnes obéissent donc eux-aussi à une « philologie » généralisée. Jugez plutôt: Appolos, Apelle, Philémon, Phlégon, Phygèle, Théophile, Pilate, Publius, Philippe, Félix, Olympe, Philète, Ampliatus, Cléopas, sans oublier Urbain (oui, il fait aussi partie de la série car la ville est la polis).

 

• A quoi ressemble Paul ?

Grâce aux Actes de Paul et Thècle nous savons à quoi ressemblait Paul. Voici son portrait tel que nous le rapporte Voltaire citant une version de ces Actes:
Il était gros, court, large d’épaules; ses sourcils noirs se joignaient sur son nez aquilin, ses jambes étaient crochues, sa tête chauve, et il était rempli de la grâce du Seigneur.
Voyons cette affaire de plus près. Un certain Onésiphore apprend que Paul arrive à Iconium, il va à sa rencontre, sans le connaître, muni uniquement de la description faite par Titus.
Car Titus lui avait dit à quoi ressemblait Paul, en effet, il ne l’avait pas vu en chair mais seulement en esprit.
On ne sait pas bien qui est ce dernier « il », mais ce qui nous retiendra ici c’est la conjonction de deux éléments: « en esprit » et « à quoi ressemblait Paul » En effet, « en esprit » signifie selon nous « par midrash ». Or le midrash passe son temps à produire des paraboles (meshalim) qu’il introduit par la formule : le mi…domé ? A quoi ressemble ceci ?
A quoi ressemble Paul ? De nombreux savants se sont fait piéger par ce portrait. S. Reinach trouve ce portrait si peu flatté, qu’il lui semble vraisemblable (historique, donc). Il est cependant curieux qu’un petit homme gros et chauve, aux jambes arquées, aux sourcils qui se touchent, au nez crochu soit dit ressembler à un ange (malakh). A moins qu’il ne s’agisse ici d’un envoyé (malakh). Paul ressemble en fait tantôt à un homme, tantôt à un ange. On a vu aussi qu’il est décrit, dans les Actes, tantôt comme jeune tantôt comme vieux. Si tous les signifiants de Paul peuvent s’inverser c’est qu’il est lui même une allégorie de l’inversion et de l’indistinction eschatologique. Notez que les Anges n’aiment pas qu’on leur demande leur nom. Par exemple lorsque les parents de Samson demandent son nom à l’Ange qui leur annonce la naissance de Samson et son naziréat, ce dernier leur répond: Pourquoi me demandes-tu mon nom? Il est peli (merveilleux) (Jg 13, 18). Curieusement, selon le Comprehensive Aramaic Lexicon, en Syriaque, la racine plt proche de peli a le sens de comparaison.

• plt vb. to be compared
• plʾt vb. to compare

• Paul ressemble à l’Antéchrist.

Comparons le portrait de Paul avec un passage de l’Apocalypse d’Elie qui trace un portait de l’Antéchrist:
c’est un jeune homme aux jambes courtes (très grand selon d’autres versions), avec une touffe des cheveux gris à l’avant de sa tête chauve. Ses sourcils atteindront ses oreilles. Il a une tache lépreuse sur l’avant de ses mains. il se transformera en présence de ceux qui le voient. Il deviendra un enfant en bas âge. Il deviendra vieux. il se transformera dans chaque signe. Mais les signes de sa tête ne pourront pas changer. Par cela vous saurez qu’il est le fils de l’anomie.
Le messie advient au comble du mal. Tel est le postulat de base de l’eschatologie juive. De manière très « logique », le midrash en tire toutes les conséquences. Si le messie advient au comble du mal, ce moment du comble est donc aussi, forcément, celui de l’Antéchrist. En effet, l’Antéchrist n’est rien d’autre que l’hérésie à son comble. Cette figure doit donc incorporer, non seulement l’impiété maximale, mais aussi l’apparence trompeuse de la piété. Par une sorte de nécessité ontologique, le mal (parce qu’il contient en lui la tromperie) doit se faire passer pour le bien. Du coup, toute distinction est impossible, on est dans l’indistinction absolue.

Et Jésus leur répondit : Prenez garde qu’on ne vous abuse.
Car il en viendra beaucoup sous mon nom, qui diront :
« C’est moi le Christ », et ils abuseront bien des gens. Mt 24,4

L’Antéchrist suscite immédiatement le messie, les deux figures sont donc inséparables, ce sont des jumeaux. Les notions que l’Antéchrist représente sont des concepts (le comble, l’indistinction,…). Mais, on le sait, le midrash répugne à s’exprimer par concepts, il a besoin de figures. Comment figurer l’Antéchrist ? La chose n’est pas facile. L’Antéchrist aura donc mille visages contradictoires puisqu’il est lui-même légion, tromperie, indistinction, séduction. Il sera par exemple figuré par la révolte de Satan contre Dieu, ou par la révolte de la Bête primordiale, autrefois vaincue par Dieu, mais qui se révolte une dernière fois contre son créateur. L’indistinction entre cette Bête et le messie est confortée par le fait que la valeur numérique de behema (la Bête) est 52, qui est aussi le chiffre du messie. La Bête prendra par exemple la forme d’un serpent, car celui-ci est un séducteur et que sa valence est 358, qui est aussi la seconde valence du mot messie. Le messie doit écraser de son talon ce serpent. D’où l’expression : surveiller les ‘qve mashiaH (les talons, les pieds du messie). Les premiers chrétiens connaissaient un étonnant symbole, l’Amphisbène, un serpent à deux têtes formé de deux moitiés, une noire et une blanche, les deux protagonistes, le Christ et l’Antéchrist, unis et inséparables pour leur dernier combat. Il est d’ailleurs probable que l’origine du symbole de la croix soit le serpent cloué sur l’arbre de la Genèse ou sur l’étendard de Nb 21,9 et qui évoque la victoire miraculeuse contre le serpent eschatologique qui s’oppose au messie.
Jézabel s’oppose à Elie, précurseur du messie, elle sera donc aussi une figure de l’Antéchrist. Elle veut s’emparer de la vigne (voir le dictionnaire midrashique) par la force, mais ce forfait est multiple, il est le comble du forfait (vol, tromperie, parjure, meurtre…). L’Antéchrist peut donc être une reine, ou encore un roi, tel Manassé… et donc pourquoi pas le roi Saül qui persécute David, figure du messie. Une autre figure de l’Antéchrist peut-être le shéol (la mort ou l’idolâtrie, à vous de voir). On a vu que Dieu sauve David de la main de Saül et donc de la main du shéol. C’est pourquoi le midrash chrétien a imaginé avec les Actes une nouvelle élaboration relative au combat eschatologique de la fin des temps. Paul/Saül/shéol poursuit le messie mais il est renversé. Paul est donc une sorte d’Antéchrist en voie de conversion. C’est un Antéchrist qui échoue (à Malte, par exemple). C’est un Antéchrist qui tombe, qui se retourne et qui se convertit. Paul n’est que la première mort (shéol) celle qui se termine par la résurrection, celle qui échoue, qui ne comporte aucune victoire. A cause de cette conversion, tous les traits négatifs de Paul seront concentrés sur une autre figure, celle de Simon le mage, le père de toutes les hérésies.

demut et mashal

Les Apocryphes se demandent, on l’a vu, à quoi ressemble Paul. Or les Apocryphes sont des élaborations de type midrashique. Ils conjoignent ici deux notions: celle de semblance (demut) et celle de mashal (parabole). Rien d’extraordinaire à cela: pour qu’il y ait parabole ou comparaison (mashal), il faut qu’il y ait matière à comparaison, il faut qu’il y ait de la semblance (demut). Ces deux notions, demut et mashal, sont par exemple réunies dans ce verset d’Isaïe:

A qui voulez-vous m’assimiler (lemi te-damiuni) à qui me comparer (ve-tamshiluni) à qui suis-je semblable? (ve-nidme) (Is 46,5)

En principe, Dieu ne peut avoir de demut, de semblance. Il ne peut donc être comparé à rien. La référence en la matière est Exode 15, 11: qui est comme toi ? mi kamokha ba-elim (tis homoios soi en theois). Le comble de l’hérésie est de se comparer à Dieu.

edame le’elion (esomai homoios tô hupsistô) (Is 14, 14)

Le Christianisme a repris intégralement l’eschatologie juive pour laquelle le comble de l’anomie n’est pas nommé, mais figuré. Le Christianisme va donner un nom à ce comble (Antéchrist) et modifier légèrement son sens. Si le terme Antéchrist apparaît quatre fois dans les Epîtres de Jean, son concept existait depuis longtemps dans le Judaïsme. Isaïe décrit déjà, on vient de le voir, un agent de l’eschatologie qui incarne le comble de l’anomie. Daniel aussi:
il proférera des paroles contre le Très-Haut…Il méditera de changer les temps et le droit (Dn 7, 25).
il renverse à terre la vérité… (Dn 8,12) etc.
Comble du blasphème, cet agent entend se faire passer pour Dieu: Les rois babyloniens du livre de Daniel veulent être adorés comme des Dieux. Le livre des Maccabées continue cette élaboration qui sera reprise et développée dans l’Apocalypse. En Ap 13, 4 nous lisons:
On se prosterna devant le Dragon, parce qu’il avait remis le pouvoir à la Bête; et l’on se prosterna devant la Bête en disant : Qui égale la Bête, et qui peut lutter contre elle?
Nous retrouvons ici l’expression tis homoios pour « qui égale » (la bête). En réalité, on aurait donc dans le texte sémitique sous-jacent le terme de demut : A quoi ressemble la bête (lemi …. dome ?) et non pas « qui égale la Bête ? ». Le Syriaque de la peshitta a d’ailleurs sur ce verset l’expression ml dmy. Il nous manque notre mashal. Mais on peut facilement le retrouver dans la suite du verset: et qui peut lutter contre elle ? Sous l’expression : qui peut la combattre, il y avait sans doute le terme mashal qui signifie à la fois dominer et comparer : le texte entendait donc signifier : a quoi peut-on la comparer, et non pas « qui peut lutter contre elle ». Autrement dit, ce verset décrit tout simplement le comble de l’anomie: les foules adressent maintenant à la Bête, les mêmes éloges qu’à Dieu: Qui est comme elle et à qui peut-on la comparer. Ils disent à l’idole: mi kamokha.
Chez Jean le terme Antéchrist va « légèrement » changer de sens:

Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ? Le voilà l’Antichrist! Il nie le Père et le Fils. (1 Jn 2, 22)

Saint Augustin consolidera cette modification:

Quelques-uns lui attribuent un sens différent, et tirent son étymologie de ce qu’il doit précéder le Christ, et de ce que le Christ viendra après lui ; mais ce mot ne doit ni s’interpréter, ni s’écrire en ce sens, mais bien en celui-ci : antéchrist, c’est-à-dire ennemi du Christ. Quel est l’ennemi du Christ? (TRAITÉS SUR L’ÉPÎTRE DE SAINT JEAN AUX PARTHES. 3)

 

• Le Séducteur

L’Antéchrist est un grand séducteur qui prend mille visages. On voit tout de suite le risque de dérive paranoïaque inhérent à une telle construction dès lors qu’on la sort du contexte midrashique. On ne peut plus faire confiance à personne. Même pas au vrai messie qui fait des miracles puisque l’Antéchrist fait les mêmes miracles.
Or il y avait déjà auparavant dans la ville (medina) un homme (gbr) appelé Simon (u-shemo shim’on), qui exerçait la magie et jetait le peuple de Samarie dans l’émerveillement. Il se disait quelqu’un de grand (rab) (Ac 8,9)
Simon le mage est un très vieil acteur du théâtre eschatologique. Le texte nous le rappelle lourdement: il y avait longtemps qu’il les tenait émerveillés par ses sortilèges. Comme le veut le cahier des charges, Simon va donc faire (dans les apocryphes) de nombreux miracles. Il cherche même à s’élever au ciel, mais Dieu le fait chuter. Comme Paul, Simon se caractérise donc par la chute. Il y a donc eu une élaboration sur l’Antéchrist qui a divergé en deux branches. L’une qui traite de Simon le mage qui opère en Samarie (Samarie est un synonyme d’hérésie) et l’autre qui traite de Paul et qui développe plus l’aspect positif de la Fin: le mal, en fin de compte, doit succomber et se convertir. Cette seconde élaboration n’a pas gardé les traits « antéchristiques » de Paul, mais les apocryphes nous les ont conservés. D’où la semblance de Paul

• Un nom de l’Antéchrist.

Le volume de la Pléiade consacré aux écrits inter-testamentaires, contient une version de l’Apocalypse d’Elie qui apporte une petite précision à notre portrait de l’Antéchrist: il est toujours petit, mais c’est un petit Peleg. Nous connaissons donc le nom de ce sympathique personnage. Pourquoi donner à l’Antéchrist le nom d’un obscur personnage de la Bible (Gn 11, 18) ? Un verset nous l’explique: ָ

A Éber naquirent deux fils : le premier s’appelait Péleg, car ce fut en son temps que la terre fut divisée, et son frère s’appelait Yoqtân. (1Ch 1, 19)

peleg – פלג signifie en effet division. La période de l’Antéchrist est en effet celle de la division. (Cf. toute la fin du traité Sanhédrin). Peleg c’est aussi un ruisseau (Ps 65,10). Dans l’article Genèse de la Passion nous citions un passage d’Esther Rabba 8,5 qui reprend ce type d’élaboration:
Puis Mardochée vit qu’un petit courant d’eau coula entre les deux dragons et les sépara mettant fin à leur combat. Alors le petit courant grossit, devint une rivière en crue, comme une mer, et inonda toute la terre.
Le frère de Peleg s’appelle Yoqtân. Ce nom possède la valence messianique. Il s’agit donc du messie. Le messie apporte avec lui la Division. Messie et antimessie sont bien des frères jumeaux, ce qui n’est qu’une manière de figurer le fait que le messie arrive au comble du mal. Ce nom Peleg est un élément de plus qui nous permet peut-être de comprendre l’origine de l’élaboration qui a abouti au nom de Paul.

 

• Sur la calvitie de Paul.

Nous savons maintenant, grâce aux portraits apocryphes, que Paul est chauve. Mais il reste à expliquer les (nombreuses) raisons de cette calvitie. En Actes 18,18 nous trouvons une raison de ce trait habituellement disgracieux, mais qui ici, fait tout le charme de Paul. Le texte nous donne en effet une indication précieuse sur la situation capillaire de l’apôtre des Gentils:
Paul resta encore un certain temps à Corinthe, puis il prit congé des frères et s’embarqua pour la Syrie…. Il s’était fait tondre la tête à Cenchrées, à cause d’un vœu qu’il avait fait.
Paul ne souffrait donc pas de calvitie précoce, il était tout simplement nazir, ce qui pour un Nazaréen est, on le comprend, la moindre des choses (du point de vue du midrash). Et à l’issue de sa période de naziréat, il se fait tondre la tête. Le nazir est lié par son vœu. L’idée de lien est renforcée par la présence (midrashique) de la Syrie (suria). Le nazir est assur (lié par des interdits). Voila aussi pourquoi Paul ira à Damas.
On comprend mieux le lien entre Paul et les vœux lorsqu’on s’avise que dans la Bible on trouve automatiquement la sonorité pl du « paulinisme » au voisinage du vœu.

Si quelqu’un veut s’acquitter (yapli) envers Yahvé du vœu qu’il a fait (Lv 27,2)
Si…pour s’acquitter d’un vœu (le-pale neder) (Lv 22, 21)

Mais sans doute, comme pour Peleg, est-ce simplement un hasard.

Il suffit de consulter une concordance pour se rendre compte que l’idée de vœux prend très vite, dans la Bible, une connotation eschatologique et n’a plus rien de juridique ou de rituel. En effet, cette concordance vous montrera qu’à la fin des temps, les païens eux aussi feront des vœux à Dieu. Nous le savons par Jonas 1, 16:
Les hommes furent saisis d’une grande crainte de Yahvé; ils offrirent un sacrifice à Yahvé et firent des vœux.
Mais aussi par Isaïe:

Yahvé se fera connaître des Égyptiens, et les Égyptiens connaîtront Yahvé, en ce jour-là. Ils offriront sacrifices et oblations, ils feront des vœux à Yahvé et les accompliront. (Is 19, 21)

Voila aussi pourquoi Paul fait des vœux et s’en acquitte: pour accomplir Isaïe qui dispose que même les Egyptiens feront des vœux. Or Paul est un peu Egyptien. Un verset des Nombres édicte à propos du nazir:
Aussi longtemps qu’il sera consacré par son vœu, le rasoir ne passera pas sur sa tête; jusqu’à ce que soit écoulé le temps pour lequel il s’est voué à Yahvé, il sera consacré et laissera croître librement sa chevelure (Nb 6,5).
Quand le nazir peut-il se raser la tête ? ‘ad melot hayamim : lorsque seront remplis les jours…Paul se rase pour signifier qu’Israël juge que la période où il était voué à Dieu est révolue. De plus, la fin des cheveux de Paul, c’est aussi la fin des portes du sheol, pour l’excellente raison que le mot sh’aar en hébreu signifie chevelure et porte.

 

• Saturation.

La surdétermination qui caractèrise le midrash, aboutit à une saturation du texte. Il devient totalement plein, ce qui est l’objectif recherché: pour dire accomplir, l’hébreu utilise le terme lemale, remplir. Cette saturation confirme souvent nos hypothèses. En voici un exemple fortuit, pris parmi des dizaines d’autres. Nous venons de parler de Damas. Cet item est comme toujours surdéterminé: Damas est l’inverse du Temple (miqdash/damasheq). Damas est aussi appelé par la racine assur, l’interdit qui frappe Paul et qui est aussi la Syrie. Nous avons évoqué aussi les innombrables prisons de Paul. assur c’est aussi la prison. Dans le paragraphe sur la « main de Paul » nous citions ce verset :

ils mirent la main sur les apôtres et les jetèrent dans la prison publique. (Ac 5, 18)

Notre attention étant centrée sur la « main de Paul » et sur l’expression « mettre la main sur » nous n’avons pas relevé l’expression « prison publique ». C’est que cette expression fait si vraie! Pourquoi le texte prend-il soin de nous communiquer cette information vitale ? Y avait-il dans la région des prisons privées ? Une visite au dictionnaire Jastrow s’imposait. Or que nous apprend ce dictionnaire ? Qu’il existe, figurez-vous, un terme qui signifie à la fois public et prison. C’est cela la saturation, et ce terme est domosi (emprunté au grec demos). Ce terme (ou plutôt, devrions-nous dire ici, ce therme) est fréquent dans le Midrash Rabba où il désigne les bains publics (dimosin, Jastrow p. 300). Pris dans ce réseau phonétique, Paul pouvait-il éviter d’aller à damas ? Autre élément de la saturation : Un compagnon de Paul se nomme Démas. Un hasard, encore.

 

• Paul : de l’enflure à la chute

Nous savons que Paul est intimement lié à la chute (npl) ce qui explique les élaborations comme sa chute sur le chemin de Damas, ou encore cette histoire d’avorton en 1Co 15,8. L’avorton c’est nefel (npl) comme en Job 3, 16. En réalité, Paul représente la présomption qui mène à la chute. C’est là le sens ultime de tout le midrash paulinien. Paul, via le roi Saül, représente le destin d’Israël selon le midrash chrétien. Ce peuple a été grand (au temps de l’Alliance) mais il est tombé si bas que seul le messie peut désormais le sauver. Curieusement, le verbe qui évoque la présomption hautaine ou l’enflure est ‘pl (‘ain, pé, lamed) qui contient à nouveau les sonorités pl. On n’y peut rien, nous sommes cernés par le hasard.
En Nb 14, 44 on trouve par exemple ce verset:

Ils montèrent …dans leur présomption (va-ya’apilu la’alot).

En Is 32, 14 le mot ‘ophel (‘pl) désigne Jérusalem. En Mi 4,8 ce même ‘ophel est rapproché d’une tour (migdal).

Et toi, Tour du Troupeau, Ophel de la fille de Sion, à toi va revenir la souveraineté d’antan, la royauté de la fille de Jérusalem.

Enfin, en Ha 2,4 ce terme prend une forme féminine ‘afela (‘plh) qui désigne l’enflure:

Le voici gonflé d’orgueil, celui dont l’âme n’est pas droite, mais le juste vivra par sa fidélité.

Or ce verset n’est pas anodin. Dans les Epîtres pauliniennes, il joue un rôle stratégique. L’élaboration autour de la présomption, de la hauteur, de l’orgueil et de l’enflure expliquerait certains passages difficiles. Prenons par exemple 1Co 8, 1. Ce verset nous apprend que la science enfle mais que la charité (agape) édifie. Vous n’y comprenez rien ? C’est normal. Même l’astronome de génie, Galilée, avait un peu de mal avec ce verset. Le verbe grec qui traduit ici l’enflure est le même que celui qui traduit notre ‘afela (‘pl). D’où ce véritable postulat des Epîtres : la da’at est toujours du côté de l’enflure (‘pl) alors que la ahava (l’agape/amour/charité) est du coté de l’édification (binyan) et du fils (ben) mais aussi de la bina, autre forme de la science (par conséquent notre verset n’a rien contre la science en général). L’amour est rapproché du fils car Dieu montre son amour en envoyant son fils. Cette élaboration va ensuite suivre sa propre évolution: en Rm 5,8 l’amour sera mis en relation avec le fils car ce fils prouve son amour en mourant pour nous. Corollaire: l’amour est toujours opposé à l’enflure. D’où des versets comme 1Co 13, 4: La charité…ne se gonfle pas.
Il suffit maintenant de revenir au tout début de cet article pour commencer à comprendre, peut-être, pourquoi les maltais s’attendaient à ce que la main de Paul enfle.

 

• Bilan de Paul: actif, passif et controverse.

En 1 hénoch 51,1 nous trouvons ce verset:

En ce temps là la terre rendra son dépôt le shéol rendra ce qu’il a reçu la perdition rendra ce qu’elle doit

Explication de texte: « En ce temps là » signifie « à la fin des temps ». Dépôt: les morts sont simplement déposés dans la terre, la résurrection des morts signifie donc que la terre doit rendre un jour son dépôt. La terre qui est nommée le shéol en tant que séjour des morts est donc en dette. On vérifie au passage que abadon (la « perdition ») est inséparable du shéol. (Le midrash chrétien prend le texte au pied de la lettre et pour lui il y a deux morts shéol et abadon, d’où en Ap 2,11 l’idée de la seconde mort)

En Proverbes 15, 24 nous trouvons ce verset:

À l’homme de bon sens, le sentier de la vie, qui mène en haut, afin d’éviter le shéol, en bas. (sur misheol matah)

on y voit que shéol est lié à l’en bas (matah) et donc phonétiquement au don: matat

Paul est le shéol mais il se convertit à cause du davar (dbr), dont il devient le porteur. Il devient donc ce qui combat le shéol à savoir le davar. Mais comme le dbr c’est aussi la peste (deber), Paul devient donc une peste:

Ac 24, 5 Cet homme, nous l’avons constaté, est une peste : il suscite des désordres chez tous les Juifs du monde entier, et c’est un meneur du parti des Nazôréens.

Paul n’est pas seulement le porteur du dbr, il polémique sur le katub (l’écriture, ktb). Et comme le ktb sonne comme le qTb (l’aiguillon) Paul sera doublement concerné par l’aiguillon: en tant que controversiste et en tant que shéol.

Où est ton dbr ô Mort? Où est ton qTb ô Shéol? (Os 13,14)

En tant que shéol qui se convertit, Paul sera donc celui qui reçoit (les morts) et celui qui rend (les morts, lors de la résurrection). En tant qu’il polémique sur l’Ecriture (ktb) Paul sera un controversiste. Or dans la tradition talmudique la controverse c’est « savoir donner et recevoir » (lyssa velitan). C’est ce qui expliquerait qu’en Philippiens 4,15 Paul parle de logon doseôs kai lêmpseôs, cette expression est un hapax, mais on peut la rétrovertir en dbr mtt ve sheela selon Si 41,21, puisque le Siracide existe maintenant en hébreu. Ce verset, en plus de nous gratifier ici d’une sheela qui sonne fort à propos comme Saül et shéol, a l’élégance de se terminer par une autre sheela :

en recevant ou en donnant (lêmpseôs kai doseôs) de rester sans réponse devant ceux qui te saluent

En effet saluer c’est lisheol leshalom. (Moi, j’aurais traduit par: ceux qui t’interrogent, mais bon, c’est à chacun de voir). Mais le verset Si 42, 7 est encore plus passionnant, il contient l’expression dosis kai lêmpsis, panta en graphê ce qui en Français donne ce charabia: que tout, doit et avoir, soit mis par écrit. En revanche en hébreu, cela donne: wmtt wlqH hkl bktb. matat ve laqaH hakol bakatub. Tout est dans le livre.