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Midrash et peinture

 Midrash et peinture

Sur un site consacré à Paul, on peut lire cette phrase: Il est peu probable – malgré l’iconographie persistante de la chute de cheval ! – que Paul n’empruntât jamais un cheval : c’était une bête coûteuse demandant un entretien complexe et dont l’apôtre n’aurait su que faire lors de ses séjours prolongés dans les villes qu’il visitait.

 Il est vrai que le récit de la conversion de Paul est reproduit trois fois dans les Actes (Ac 9,1-19; 22,4-21; et 26,9-18) et que jamais dans ces trois passages il n’est question d’un cheval. La chute de cheval paulinienne serait donc une pure invention des peintres.

• Le peintre et le midrash.

Dans le présent article nous avançons l’idée que ce sont les peintres qui ont raison. Le peintre sait qu’il y a un cheval dans cette histoire et il a raison. Mais comment est-ce possible ? Le peintre saurait-il des choses que le texte ne sait pas ? Non, le peintre n’en sait pas plus que le texte. Mais on va voir que le texte sait, d’un savoir inconscient en quelque sorte, qu’il y a bien un cheval dans cette histoire.

• Pourquoi y a-t-il un cheval plutôt que rien ?

Il est possible de montrer que, dans la Bible, le cheval est une métaphore de l’orgueil et du pouvoir. En voici un exemple tiré de Zacharie:

En ce jour-là – oracle de Yahvé – je frapperai tous les chevaux de confusion, et leurs cavaliers de folie – mais sur la maison de Juda, j’ouvrirai les yeux – tous les chevaux des peuples, je les frapperai de cécité (Za 12,4).

Il est bien question ici de cheval (hébreu: sus) mais le prophète vise à l’évidence la superbe et l’orgueil. (Pourquoi la divinité s’en prendrait-elle spécifiquement aux chevaux ? Vous pouvez me le dire ?). Paul tomberait de cheval et serait frappé de cécité voire de folie pour accomplir aussi ce genre de verset. Dans le Traité Théologico-Politique, Spinoza cite un verset d’Isaïe:
je te conduirai en triomphe (hirkavtikha, litt: Je te ferai chevaucher, racine rekeb) sur les hauteurs du pays (Is 58, 14)
et Spinoza commente ainsi ce chevauchement: Expression hébraïque qui signifie : Être le maître de l’empire, diriger l’empire, comme on fait d’un cheval à l’aide du frein. La langue arabe, elle, fait dériver le terme politique (siyasa) du cheval (sus, sasa le poulain) et non comme chez nous de la polis. La politique y est affaire de superbe et d’éclat (ou de fouet, de dressage et de manège, c’est vous qui voyez).
Quant au midrash chrétien il lui arrive aussi d’associer cheval et pouvoir:

Alors surgit un autre cheval, rouge-feu; celui qui le montait, on lui donna pouvoir de bannir la paix hors de la terre, et de faire que l’on s’entr’égorgeât; on lui donna une grande épée (Ap 6,4)

Le cheval est donc une métaphore du pouvoir et de la royauté. Et la chute de cheval n’est donc rien d’autre que la perte de ce pouvoir. Mais Paul pouvait très bien se « convertir » sans qu’il soit aucunement question de perdre son pouvoir.
Pourquoi donc est-il question de perte de pouvoir dans les Actes, et donc par métaphore de chute de cheval ?
Pour cette raison que les Actes sont un midrash sur les livres de Samuel qui racontent l’élévation de Saül à la royauté puis sa chute. Saül chute car il désobéit à Dieu, poursuit David, et massacre les prêtres de Nob (hommes et femmes, 1S 22,19).
En voici une preuve prise parmi cent autres: Pourquoi Paul a-t-il absolument besoin, pour persécuter les chrétiens, de lettres du Grand Prêtre ? La raison en est simple: c’est qu’il doit agir comme le Saül biblique (qu’il est par midrash). Or Saül tient son pouvoir de l’onction du Grand Prêtre Samuel. Ce thème est donc repris tel quel dans les Actes. Saul-Paul demandera donc (verbe shoel) des lettres au Grand Prêtre grâce auxquelles il aura pouvoir de poursuivre et de « lier » les « Chrétiens » (hommes et femmes: Ac 8,3 reprend donc mot pour mot 1Samuel 22, 19). Mais quel rapport entre des lettres et l’onction ? Celui-ci: il se trouve que les lettres (igrot) possèdent la valence messianique (52, celle de mashiaH, oint) et donc de l’onction. C’est pourquoi ces lettres peuvent se substituer sans problème à une onction. Elles en sont l’équivalent numérique.
On voit ici l’essence même du midrash: créer du texte à partir du texte, par réutilisation, actualisation, numérisation… en un mot: par élaboration et, si possible, saturation. La saturation c’est par exemple lire la bible et en conclure ceci: le roi Saül poursuivait en réalité déjà des Chrétiens (avec quelques siècles d’avance), puisque les prêtres de Nob sont (par gématrie) les prêtres du messie (נב =Nob= 52=messie).

• Char et cavalier.

Paul tombe de cheval, il est donc un cavalier (rekeb). Mais rekeb en hébreu est aussi un char. Est-ce la raison pour laquelle Paul est ravi au ciel (2Co 12, 2), tel Elie dans son char (merkaba) ? En tout état de cause ce thème est surtout développé dans les Apocryphes.

• Du grain à moudre: un autre métier peu connu de Paul.

Enfin, rekeb est aussi le moulin. Exemple:

une femme lui lança une meule de moulin (PelaH rekeb פלח רכב ) sur la tête et lui brisa le crâne (Jg 9,53)

Curieusement, il existe un bas relief à Vézelay qui représente Paul travaillant avec un moulin. Paul y est présenté en compagnie des prophètes « résolvant l’ancien grain en la pure et nouvelle farine dont l’Eglise nourrit les Hommes ». Ce moulin transformerait donc le grain de l’ancienne loi, mal assimilable en farine utilisable tant par les hommes que par les animaux (les païens, sans doute). C’est le « moulin mystique ». Paul est donc aussi meunier en plus de son métier principal de fabricant de tentes (Actes 18,3, encore que selon la peshitta sur ce verset, Paul serait plutôt fabricant de harnais, mais on ne va pas chipoter, l’essentiel c’est que la main de Paul se convertisse aussi, devienne utile et ne soit plus yad shaul, le pouvoir de Saül ou du shéol). On remarquera justement la présence des sonorités pauliniennes (pl) à proximité de notre rekeb. PelaH, on l’a vu, est une des racines de l’action et des Actes. Cf. L’Ecriture sous contrainte.

 La chute de cheval marque enfin une inversion. C’est la fin du pouvoir de Saül et le début du pouvoir (messianique) de David.

• Paul, Pharisien libéré.

Tant que Paul était encore orgueilleux et donc à cheval, il était un cavalier. Ce truisme va prendre un peu de saveur grâce au Comprehensive Aramaic Lexicon. En effet, ce site nous apprend que cavalier se dit aussi paras

• prš, pršʾ (parāšā) n.m. horseman, cavalry Syr
C’est pourquoi Paul aime à rappeler son passé de cavalier, pardon: de Pharisien (la racine parash: פרשest celle du cavalier et du Pharisien, terme qui signifie séparé). Mais ce terme paras renvoie également à un ensemble d’idées très étendu et qui explique nombre d’élaborations pauliniennes:
• prš vb. to separate
to be separated ,to depart
to sail away ,to specify, distinguish
to explain , to sail
to be destined , to be created
to be excommunicated
to be set aside as priestly gifts

• pryš adj. : diverse, noble, excelling, unclear , Pharisee
• pryšy, pryšyʾ (prīšāyā) : Pharisee (Pharisien)

On voit que même la navigation n’est pas oubliée. On peut se référer aussi à l’article: Un messie nommé Perse.