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Orfèvres en révolte

Orfèvres en révolte

S’il est un passage des Actes dont l’historicité ne fait aucun doute, c’est bien ceui de la révolte des artisans d’Ephèse lors du passage de Paul dans cette ville (Actes 19). Personne n’aurait l’idée saugrenue d’aller remettre en question la réalité historique de ce récit. Et d’ailleurs personne ne le fait. Pourquoi Paul irait-il inventer une telle histoire, sans aucun enjeu doctrinal, théologique ou polémique?

 

Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison,
qui joignent champ à champ jusqu’à ne plus laisser de place (Is 5,8)

• Consensus universel.

Vous remarquerez qu’on a tendance à opposer automatiquement historicité et invention. Ou bien Paul invente ou bien sa narration est historique. Pas de tierce possibilité. Le midrash ne fait jamais partie de l’horizon intellectuel des chercheurs. Et comme Paul n’a aucun intérêt ici à inventer, c’est donc que son récit est vrai et historique. Vous aurez beau chercher sur Internet, vous ne trouverez pas un auteur qui conteste l’historicité de ce passage. Vous trouverez toujours un auteur pour contester tel détail du corpus: l’authenticité ou la datation de telle Epître ou l’interprétation de telle ou telle idée, mais sur la révolte des Ephésiens, il existe semble-t-il un consensus universel quant à l’historicité. C’est pourquoi nous avons choisi d’étudier de près ce passage.

• Le manifeste et le latent.

La double entente n’est pas une technique aussi simple que l’on croit. Elle prend parfois des formes subtiles. Un exemple: supposons que vous fassiez un récit. Nous l’appellerons ici « contenu manifeste ». Ce récit traite d’un sens A. Dans ce récit vous glisserez quelque signifiants anodins qui, pour des oreilles attentives et formées à la double entente, et seulement pour ces oreilles, auront le pouvoir de faire surgir un autre sens B à votre récit. Les auditeurs qui ne sont pas formés à la double entente ne pourront jamais avoir accès de manière claire au sens B, mais comme ils auront quand même été les récepteurs des signifiants en question, ils ressentiront comme un malaise. Le sens B agira en eux comme à leur insu, il sera pour eux comme un contenu inconscient, mais qui n’en opère pas moins.

• Exemples.

Prenons l’élément le plus spectaculaire de notre révolte des orfèvres. Nos orfèvres fabriquent et vendent des reproductions miniatures du temple d’Artemis. Cela c’est le contenu manifeste. Le contenu latent est bien différent: C’est que nos païens sont à la lettre des marchands du temple: ils vivent des reproductions miniatures du temple, ils transforment donc le Temple en argent. Le terme hébraïque pour orfèvres (tsorephim, comme en Néhémie 3, 32) est l’anagramme des brigands de Jérémie 7, 11 (peritsim) Or ce verset de Jérémie est repris par Jésus lorsqu’il chasse les Marchands.
Admettons un instant l’hypothèse que notre passage soit à double entente. Quels seraient les autres signifiants-connecteurs qui nous renverraient à un contenu latent supposé ? En Actes 19, 35 c’est un grammateus qui calme la foule. Ce grammateus est traduit par « chancelier ». On se demande comment grammateus a pu signifier chancelier car grammateus traduit toujours sofer (scribe). Tout se passe comme si la traduction elle-même contribuait à garder enfoui le sens latent. Scribe serait trop explicite et évoquerait les juifs. On aurait donc selon notre hypothèse un récit manifeste qui parle des païens et un récit latent qui parle des Juifs. Le but est de délivrer un message subliminal: les Juifs sont devenus aussi idolâtres que les païens, ce qui est selon nous le leitmotiv des textes chrétiens. En effet, le messie ne peut advenir sans ce passage au comble, si les juifs ne sont pas tous devenus idolâtres.

• L’idôle.

Juste avant notre révolte, des esprits-démons attaquent les 7 fils de Sceva. On se souvient alors que Jésus guérissait Marie (Israël) de ses 7 démons. Or démon se dit shed. Observez maintenant la statue de l’Artemis d’Ephèse, elle a, selon la plupart des représentations, un grand nombre de seins. Or il se trouve que les seins se disent shadayim ou même shad (Jastrow). shade c’est aussi le champ. On aurait donc un contenu manifeste (Artémis ou Diane) et un contenu latent qui n’apparait jamais à la conscience: à savoir Marie/Miriam aux nombreux שד seins/démons, révoltée notoire et orfèvre en la matière, selon le midrash.

• Connexions.

Certes, Marie n’apparaît pas dans le récit de la révolte des orfèvres, mais elle apparaît ailleurs en connexion avec Ephèse puisqu’elle va selon les Apocryphes (c’est le nom que les chrétiens donnent à leurs midrashim trop gênants) mourir à Ephèse.

Noter que, de son côté, Miriam est liée au mot esef du fait de Nb 12,15 ‘ad he-asef
le peuple ne bouge pas avant sa réintégration dans le camp (la fin de sa lèpre)

Dans l’article « virginité, noirceur et arrogance » nous avancions l’hypothèse que toutes les Marie du NT sont une seule et même figure: le peuple juif figuré par Miriam, la sœur de Moïse, et paradigme de la révolte. Ce pourquoi Marie est mise (via Madeleine) en connexion avec le signifiant de la grandeur-arrogance. La tour (migdal) et la chevelure signifiant cette arrogance, dénoncée aussi sous la forme de la fausse sécurité. Or tous ces éléments qui doivent rester latents ont un représentant dans le contenu manifeste. Diane porte une tour fortifiée sur la tête qui évoque son sentiment de sécurité. De proche en proche on s’aperçoit que bien des signifiants du récit manifeste sont des connecteurs vers le sens latent: Grande est l’Artémis des Ephésiens. Voici pour la grandeur-arrogance de Miriam et des Juifs. Le terme Artémis lui-même renvoie au terme latent -et latin- de Diana. Car Dina c’est la loi et la religion. Dina a aussi l’avantage de souligner la révolte. Mais pour entendre cela, il faut être connaisseur et expert en midrash. En effet, Dina, la fille de Jacob est un peu trop sortie (trop éloignée du judaïsme et trop rapprochée des païens) ce qui lui a valu quelques ennuis. Noter aussi que le mot diana existe en hébreu tardif (avec un alef entre le yod et le nun) et signifie perte.
-Mais, direz-vous, la connexion entre Marie et Ephèse est peut-être due au hasard. Il nous faudrait une autre preuve. Pourquoi Madeleine n’est-elle pas associée elle-aussi à Ephèse ? Eh bien, figurez-vous que Grégoire de Tours a entendu parler de Madeleine à Ephèse. Il mentionne même son tombeau : «Dans cette ville [Ephèse] repose Marie-Madeleine, n’ayant au dessus d’elle aucune toiture » (in gloria martyrium, ch. 29). Les deux Marie (qui n’en font qu’une) sont donc associées à Ephèse et à la mort. Or la mort est elle-même un contenu manifeste de l’idolâtrie latente, c’est le cas de le dire, des Juifs. Pour le coup, Madeleine n’a plus, mais plus du tout, de sentiment de sécurité. Son tombeau n’a plus de toit. Elle n’a plus rien sur la tête. Plus de tour fortifiée ou plus de cheveux par exemple. Une légende du VIIe siècle présente Madeleine comme étant la marie dont Jésus avait chassé les sept démons et qui de plus aurait été vierge et martyre. Décidément ces Apocryphes sont bien gênants, ils risquent un beau jour de « cracher le morceau », de tout rendre manifeste. Il faut donc les éliminer. Au profit de textes plus savants qui maintiennent la tension entre le contenu manifeste et le contenu latent. Mais le bon peuple semble apprécier, lui, les apocryphes. Il prend au sérieux Lc 8,17: Car rien n’est caché qui ne deviendra manifeste (nigla). Il faudra donc l’éduquer et au besoin sévir. Mieux : ridiculiser ces textes infantiles.

• Le réseau Marie.


Pour compliquer le tout il existe une autre forme d’élaboration « mariale ». Il s’agit de Marie L’Egyptienne, souvent confondue avec Marie-Madeleine. Décidément! Marie l’Egyptienne vivait à Alexandrie de la prostitution (lire: idolâtrie). Elle voulut se rendre à Jérusalem, paya son voyage de ses charmes, mais une force irrésistible l’empêcha d’entrer dans le Temple. Elle comprit que cette résistance était due à la noirceur de son âme. Elle pria alors la Vierge Marie pour obtenir le pardon de ses péchés. Pour pénitence elle se retira dans le désert, de l’autre côté du Jourdain, et promit d’y vivre dans la chasteté. Elle s’en alla avec trois petits pains qui lui servirent d’unique nourriture et, ses vêtements partis en lambeaux, elle n’eut plus rien pour se vêtir. Zozime qui la découvrit un jour dans le désert, lui donna son manteau pour voiler sa nudité. Marie lui demanda de revenir l’année suivante à Pâques lui apporter la sainte Communion, ce qu’il fit. Elle communia et mourut peu après avoir traversé le Jourdain à pieds secs. Elle serait morte en 421. On la représente généralement uniquement couverte de ses cheveux de la tête aux pieds. On la fête le 2 avril.
Dans cette nouvelle élaboration nous retrouvons les items habituels (idolâtrie/prostitution, cheveux) mais aussi un élément nouveau : l’Egypte. Et notamment Alexandrie. Or il se trouve, mais c’est évidemment un pur hasard, que nous trouvons dans le récit de Paul un Alexandre qui essaie même de prendre la tête des révoltés d’Ephèse. Encore un juif qui prend un nom grec, signe d’abandon de son identité. Il va même au Théâtre. Et encore un nom en connexion avec l’idée de grandeur (via Alexandre le Grand. Vous n’aimez toujours pas l’humour midrashique ?)


• Confirmations.

Le discours de Démétrios sur l’importance économique de l’exploitation du temple et les avantages en terme d’emploi témoigne de l’humour du midrash, il s’agit ici de faire un bon mot sur la ‘avoda, le culte du temple (‘avoda signifie travail). Que l’ensemble de ce passage soit de nature midrashique, nous aurions pu le savoir si nous avions lu le début de notre passage: tout ce tumulte (mehuma) se produit uniquement à propos de la Voie. Et le moment ou cela se passe est aussi instructif: Egeneto de kata ton kairon, soit bayamim hahem, expression qui renvoie en général au temps indéfini de l’eschatologie. A moins qu’il ne s’agisse du moment prévu par les Psaumes: Pourquoi ces nations en tumulte ? (Ps 2,1) Il est possible que ce psaume ait même été à l’origine de notre élaboration, car il contient justement le signifiant Ephèse en Ps 2,8 sous la forme des extrémités de la terre (afsé arets) efes en hébreu c’est l’extrémité ou le néant. C’est aussi le mot malheureux des explorateurs qui craignent l’entrée en terre promise et l’ère messianique. Notre révolte « païenne » intervient dans un contexte très particulier. Au début du chapitre 19 des Actes, Paul mentionne des disciples qui ne sont pas au courant de l’existence du saint Esprit. Ils sont presque chrétiens. Ils croient en Jean (Elie) mais pas en Jésus. Paul doit alors passer trois mois à la Synagogue d’Ephèse pour enseigner la Bonne Voie. Le résultat est décevant car les juifs résistent. Ils s’adonnent même à la magie. Tel est le contexte de la révolte des Ephésiens. Cette révolte a pour but de montrer que les juifs sont devenus aussi idolâtres que les païens. Il faut donc s’en séparer pour garder la vraie religion. Il faut aussi montrer que les juifs ont abandonné la tora, et que Paul lui, reste dans la tora, d’où le fait qu’il enseigne dans une école toranique Ac 19,9. (Toujours pas ?)
Les lecteurs un peu lassés par Paul pourront lire sur ce site les Actes de Jean. En effet, dans ce texte Jean lui aussi a fait le voyage d’Ephèse, lui aussi visite son fameux théâtre et bien entendu son Temple incontournable. Curieusement il n’y voit pas de statue d’Artémis. Sans doute une erreur d’inattention.

• Effets sonores chez Sophonie.

Il existe chez Sophonie une occurrence du mot hébreu efes qui pourrait éclairer notre lanterne. Dans le dernier verset du chapitre 2 Sophonie prophétise l’écroulement des villes païennes (Moab et Amôn notamment). Ce qu’il leur reproche c’est leur égoïsme et leur arrogance: néant hormis moi.
C’est la cité joyeuse qui trônait avec assurance, celle qui disait en son cœur : Moi, sans égale! (ani ve-afsi ‘od) (2,15)
efes serait donc lié à l’idée de toute-puissance: rien en dehors de moi. C’est l’idée de se prendre pour Dieu et donc de nier Dieu. Mais au verset suivant, il n’est plus question des païens mais d’Israël. On a changé de chapitre.
Malheur à la rebelle (morah racine de Miriam) , la souillée, à la ville tyrannique (yona) (3,1)
yona pourrait être ici un bel exemple de double entente : c’est la colombe, attribut d’Israël, mais ce mot peut être lu yavana, la grecque!
Le grec a peristera et le latin columba mais le traducteur français est bien obligé de traduire tyrannique, pourquoi le prophète maudirait-il une colombe ?
On aurait ici un exemple de double entente proche de notre passage des Actes. Sophonie reproche à Israël:
Elle n’a pas écouté l’appel, elle n’a pas accepté la leçon (musar); à Yahvé elle ne s’est pas confiée, de son Dieu elle ne s’est pas approchée.
Sophonie n’a rien à voir avec Ephèse, mais c’est le prophète du asaf, anagramme de efes. Voyez les premiers mots de sa prophétie:
Oui, je vais tout supprimer (asof asef) de la face de la terre, oracle de Yahvé. Je supprimerai (asef) hommes et bêtes, je supprimerai (asef) oiseaux du ciel et poissons de la mer (1, 2-3)
Sophonie n’est bien évidemment jamais allé à Ephèse, et cependant il a pu maudire des marchands et des orfèvres qui hurlent.
Hurlez, habitants du Mortier, car tout le peuple de Canaan est anéanti (nidma), tous les peseurs d’argent sont retranchés (nikretu). (1,11)
Une note de la BJ nous indique en effet fort à propos que canaani c’est un marchand. Le verset peut être traduit: tout le peuple ressemble à des marchands. Si Ephèse n’est plus dans Ephèse, on peut se demander si les Crétois dont parle Paul ne sont pas eux-aussi un peu Juifs. En effet un peu plus loin Sophonie prophétise:
Malheur aux habitants de la ligue de la mer, à la nation des Kerétiens! Voici la parole de Yahvé contre vous : Canaan, terre des Philistins, je vais te faire périr faute d’habitants!