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Quelques bonnes raisons de visiter Athènes

 Visiter Athènes

Un lecteur nous a posé la question suivante: « Si Paul n’a jamais existé, comme vous le prétendez, comment est-il possible qu’il ait pu visiter Athènes (Actes 17)? ». J’aimerais d’abord indiquer à notre interlocuteur que sa question ne nous pose pas de difficultés: Paul a très bien pu se rendre à Athènes en bateau ou même à cheval.

 Mais cette réponse est insuffisante. La véritable question est « Pourquoi Athènes ? ». Ce voyage textuel à Athènes est surdéterminé. Paul a en effet plusieurs bonnes raisons acoustiques de se rendre à Athènes.

•ʾytnʾ: Athena

Il s’y rend d’abord car il est Saül. Or Saül avait été envoyé aux ânesses.

•ʾtn, ʾtnʾ (‘tānā) : ânesse

Paul se rend ensuite à Athènes, car il est l’apôtre envoyé aux gentils c’est-à-dire aux goyim (ethnos). Voici déjà deux bonnes raisons d’aller à « Athènes ». Cette ville est naturellement pleine d’idoles. Mais elle est aussi pleine de philosophes. Et notamment de philosophes épicuriens. Paul n’a pas croisé de philosophes sceptiques, platoniciens, ou cyniques. Il n’a rencontré que des épicuriens (et des stoïciens, mais ces derniers pourraient bien être de la variété shtuyot : stupidité). Curieusement, ce sont les seuls philosophes connus des textes juifs. Le pirqe avot énonce « sache ce que tu dois répondre à un apiquros ». Il n’est pas certain que ce terme désigne vraiment les adeptes d’Epicure ou de Lucrèce. Il est probable en effet que ce terme désigne simplement des railleurs qui se moquent des rabbins. Par ailleurs, les Epicuriens sont déjà la cible des Homélies Pseudo-Clémentines. Toujours est-il que Paul est mis en rapport avec des philosophes

•pylwswp, pylwswpʾ (pīlowsowpā): philosophe

dont la doctrine est l’épicurisme.

•ywlpn, ywlpnʾ (yulpān, yulpānā) : doctrine
• ‘pyqwr, ʾpyqwrʾ : heretic, sceptic

En 1Tm 1,10 on trouve un terme proche : epiorkos. Ce terme est traduit par « parjure » mais comme c’est l’un des milliers de hapax du NT, on ne saura jamais vraiment…

Il est donc fort possible que notre passage ne parle que de Juifs. D’ailleurs, Paul n’a jamais fait de prédication aux païens et la première chose qu’il fait à Athènes, c’est d’aller à la Synagogue. Pour quelqu’un qui a été envoyé aux Gentils, c’est d’une logique imparable. Un indice qu’il s’agit de juifs, c’est que Paul a affaire à des rieurs, à des moqueurs:

À ces mots de résurrection des morts, les uns se moquaient

Lorsqu’il leur parle de résurrection, ses auditeurs lui répondent qu’ils l’écouteront à la fin des temps (zbn ‘Hr) et non pas « une autre fois » comme on le traduit habituellement (Nous t’entendrons là-dessus une autre fois). Un grec ne ferait pas de tels jeux de mots. Dans la peshitta, ces auditeurs sont d’ailleurs des moqin

• mwqn, mwqnʾ (mawqānā) : derision

qui se moquent de la qiyama. Encore un jeu de mots, pas grec du tout. Ce n’est pas le seul de ce passage. Paul est ensuite conduit devant un tribunal (l’Aréopage). Classique : après la dérision, le jugement. C’est le schéma de la Passion. Et là, inversion, il réussit à convertir ses Juges. Selon la peshitta il convertit un juge nommé Denys.

• dyn, dynʾ (dayyan, dayyana) : judge

Ce Denis est dynwsyws, Dinosios, un nom calqué sur dayan (juge), autrement dit la peshitta comprend le passage comme une élaboration autour du mot juge. Mais on peut aussi le comprendre comme le nom déformé de Dionysos, autre Olympien et donc parent d’Athéna. Comme quelques versets plus loin Paul va être mis en présence d’un personnage nommé Apollos, on peut se demander s’il ne s’agit pas là aussi de convertir les dieux de la Grèce. Polos vainqueur de Pallas ? Plus vraisemblablement, il s’agit de montrer que les Juifs sont devenus aussi idolâtres que les grecs, ce qui est le leitmotiv caché des Evangiles. En effet, le messie ne peut advenir qu’au comble de l’idolâtrie.

Post scriptum: Il est possible que le thème de la prédication de Paul (la résurrection) soit aussi une élaboration sur le terme atanasia traduit par Jastrow comme signifiant immortalité. Ce terme consonne bien avec Athènes.

 Autre question embarrassante : Comment se fait-il qu’il existe un père de l’Eglise nommé Denys l’Aréopagite ? 

Réponse: Je vous remercie de me poser la question. Le récit des actes des Apôtres a inventé un personnage nommé Denys l’Aréopagite, mais la tradition chrétienne va encore plus loin, elle a fait de ce personnage un être historique. Elle continue le midrash paulinien, elle rapporte que ce Denys, converti par le discours de l’apôtre, fut établi par lui premier évêque d’Athènes, et même martyr, brûlé vif vers l’an 95. On connaît donc la date de sa mort et même ses écrits. Par exemple, ce Denys historique a écrit des Lettres: les Lettres de Denys l’Aréopagite. Ce sont de courtes lettres, adressées à divers personnages eux-aussi très historiques. Curieusement on y voit surgir non pas un Apollos, comme dans les Actes, mais un Apollophane. Une autre lettre est adressée à un Grand Prêtre païen. C’est que, voyez-vous, les païens ont aussi leur Grand-Prêtre, comme les Juifs et Denys va polémiquer sans grand succès avec ce Grand-Prêtre pour faire comme Paul. Son nom? Polycarpe. Curieusement Denys raconte un peu plus loin : Alors que j’étais venu un jour en Crète, le saint homme Carpos me reçut chez lui… Pourquoi tant de Carpos (2Tm 4, 13) ? C’est que le Grand-Prêtre a pour fonction de kpr, de faire propitiation. Ce pourquoi certaines scènes se passent à Chypre (kpr). On comprend mieux pourquoi la même tradition préfère désormais parler du Pseudo-Denys.